L’artiste et musicien&nbsp;revient sur son parcours exceptionnel

Propos recueillis par K. Leander Williams

L’incroyable voyage de Lonnie Holley, des rivières d’Alabama aux bords de Seine

« En matière d’art, les racines de ce que j’ai appris à faire remontent aux expériences que j’ai vécues à l’âge de 4 et 5 ans, dans les fossés et les ruisseaux qui se trouvaient derrière notre maison en Alabama. Les cours d’eau étaient peuplés d’animaux, comme des têtards et des écrevisses, qui s’enfouissaient dans la vase. Dans les fossés gisaient tout ce que les gens jetaient. J’avais l’habitude de courir partout et de trifouiller dans tout ça, comme tous les enfants. Aujourd’hui encore, je dirais que là où je me sens le plus chez moi, c’est dans la poussière, à chercher ce qu’on appelle des ordures. »

« Les fossés, c’était une part [de mon enfance] ; les fêtes foraines, c’était l’autre. Là où j’habitais, à Birmingham, il y avait des carnavals, la fête foraine de l’État. J’assistais à tout de A à Z – du montage du chapiteau à son démontage. À une époque, ma maison était en face d’un drive-in, et je pouvais regarder les films en montant sur le toit. Ne me demandez pas les titres – j’étais petit –, mais je n’en ai pas raté un seul. »
« Je n’avais pas prévu de faire de l’art. L’art, je ne savais pas que c’était. Mes premières pièces me sont venues quand j’ai fait une pierre tombale pour les enfants de ma sœur, mes nièces, qui sont mortes dans un incendie en 1979. Ma mère à moi a eu 27 enfants. Dans le jardin d’une autre de mes sœurs, j’avais trouvé du grès, que les fonderies de fer en Alabama utilisaient pour fabriquer des moules à tuyauteries métalliques. Il avait été enfoui là, en gros blocs, pour combler le terrain. C’était un matériau fragile mais suffisamment ferme pour que je puisse le travailler : avec une scie à tronçonner trouvée dans les outils de mon grand-père, je l’ai morcelé jusqu’à pouvoir le manipuler et le modeler avec un couteau, une fourchette et une cuillère. »

« J’aimais travailler le grès, donc après la pierre tombale, j’ai continué à sculpter. À cette époque, je gagnais notamment ma vie comme cuisinier dans les fast food. J’avais apporté certaines de mes sculptures à des entreprises de pompes funèbres pour les leur proposer, mais elles m’ont répondu que, comparé au marbre et au granit, le grès était trop tendre et ne durait pas dans le temps. »
« Un an environ après avoir commencé à sculpter, j’avais déjà plus de 100 pièces, certaines en grès, d’autres pour lesquelles j’avais utilisé de la peinture, et d’autres encore en coulures de grès. Mais je ne savais pas quoi en faire. Tout a changé lorsqu’une femme que je n’oublierai jamais, Sarah Kelly, qui était comme une tatie pour moi, m’a dit : “Tu devrais apporter ton travail à la ville et arrêter d’attendre que la ville vienne à toi.” »
« Alors j’ai chargé ma voiture et j’ai amené mes pièces au Musée d’art de Birmingham, où une femme a tenu à les montrer au directeur, Richard Murray. Il est arrivé et a commencé à les regarder, à me poser des questions sur les pigments et sur des choses dont je ne savais absolument rien. Il a utilisé le mot “prolifique”, que je n’avais jamais entendu de ma vie, puis il m’a demandé ce que différentes pièces signifiaient, et j’ai expliqué ce à quoi je pensais quand je les sculptais. Deux d’entre elles, Baby Being Born et Time, ont atterri dans l’exposition du Smithsonian “More than Land or Sky: Art from Appalachia” [1981]. Baby Being Born m’avait été inspiré par l’échographie de mon fils Ézékiel. C’était la première fois que j’en voyais une. Participer à cette exposition m’a permis d’aller à Washington. Le Smithsonian avait fait venir tou∙te∙s les artistes pendant deux semaines, et nous étions allé∙e∙s de galerie en galerie pour voir de l’art. Le temps que j’ai passé là-bas m’a beaucoup marqué. »

« Quelque temps après, ma femme et moi avons acheté une maison près de l’aéroport international de Birmingham. Je faisais des démonstrations de sculpture pour les enfants dans les écoles. Les gosses m’ont donné un surnom, “Sandman”. On avait un acre [0,40 hectare] de terrain autour de la maison, et il y en avait un autre à côté de la même superficie. Prenant exemple sur mon grand-père, qui apparemment se servait de tout ce qu’il trouvait pour construire ce dont il avait besoin, j’ai commencé à remplir mon terrain et celui d’à côté d’œuvres, des sculptures réalisées avec des chutes de métal, des pierres, du tissu, du bois, du fil de fer, tout ce qui me tombait sous la main. Nous avons dû déménager quelques années plus tard, lorsque la situation avec l’aéroport est devenue trop tendue [l’extension de l’aéroport a entraîné une bataille et un accord juridique], mais à ce moment-là, je considérais ce que je faisais comme de l’expression créative. Pour moi, l’art est le courant qui alimente la production culturelle. »

« J’avais aussi conscience que tout le monde ne voyait pas mon art de cette manière. Certains minimisaient ce que je faisais, malgré l’intérêt de Richard Murray et d’Anne Arrasmith, qui dirigeait Space One Eleven, dans le centre de Birmingham, où j’étais invité à travailler. »
« Vers 1985, quelqu’un a parlé de moi à William Arnett, un collectionneur et historien de l’art. Il est venu voir mon terrain et il a adoré. Bill était quelqu’un de très spécial, il était curieux de toutes les formes d’expression humaine. Il s’intéressait à ce qu’il appelait « l’art africain vernaculaire » – des gens comme moi, Thornton Dial, Joe Minter et les quilteuses de Gee’s Bend. Depuis ce jour, je travaille avec la famille de Bill, et c’est grâce à son intérêt que nos œuvres ont commencé à être plus largement reconnues. [En 2010, William Arnett a créé une fondation pour les artistes du Sud, Souls Grown Deep, précisément à cette fin.] »

« J’ai commencé à faire de la musique en 2010. J’ai toujours chanté et juste avant, j’avais trouvé un clavier au Goodwill [magasin d’occasion], avec lequel je travaillais. J’aimais émettre des geignements et des grognements comme le faisaient les membres de ma famille quand ils chantaient. Ça n’avait rien de formel, c’était juste quelque chose que tout le monde aimait bien faire. J’ai eu l’occasion d’enregistrer un disque lorsque le fils de Bill, Matt, a ouvert un studio à Gee’s Bend pour enregistrer la musique des quilteuses. Certains de leurs morceaux se trouvent aujourd’hui à la bibliothèque du Congrès. Matt me laissait rentrer et jouer après les sessions qu’il menait avec elles. »
« La musique était une autre manière de « forger son esprit », comme je le décris, donc mon esprit s’est simplement mis à travailler et peu de temps après, j’avais quelques morceaux. Je me contentais de chouiner, de faire mes trucs, en pensant à ci ou ça, en les laissant sortir. Comme beaucoup des choses que j’ai eu le privilège de faire dans le domaine de l’art, c’était une sorte de pari, avant de devenir un processus d’apprentissage. »

K. Leander Williams est rédacteur pour The New Yorker.
<a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/25869/Lonnie-Holley" target="_blank">Lonnie Holley</a> est représenté par <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/gallery/1070/Blum?lang=en">Blum&nbsp;</a>(Los Angeles, New York et Tokyo) ; et par Edel Assanti, (Londres). Blum présentera l’artiste à Paris+ par Art Basel, et Edel Assanti présentera son travail dans le secteur Nova à Art Basel Miami Beach.
Légende de l'image en pleine page&nbsp;: Lonnie Holley. Photographie par David Raccuglia. © Lonnie Holley / Artists Rights Society (ARS), New York. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Blum.
Publié le&nbsp;14 octobre 2023.

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L’artiste et musicien revient sur son parcours exceptionnel

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