À la veille d’Art Basel Hong Kong, la nouvelle directrice partage sa vision, ses réflexions sur l'évolution culturelle de la région et ses conseils pour les visiteur∙euse∙s

Coline Milliard

Angelle Siyang-Le : « Le paysage culturel de Hong Kong s’est considérablement étendu »

Coline Milliard : C’est un moment particulier pour Hong Kong, car après trois longues années, toutes les restrictions de voyage liées à la Covid ont été levées – et l’obligation du port du masque a, elle aussi, pris fin. La ville rouvre enfin ses portes après une période très difficile. En quoi a-t-elle changé ?Angelle Siyang-Le :&nbsp;Nous avons tou∙te∙s beaucoup appris pendant&nbsp;ces dernières années, et même si je ne pense pas que la ville ait fondamentalement changé – la communauté artistique de Hong Kong ne s’est pas arrêtée pendant la Covid-19 –, force est de constater que l’écosystème a mûri. Aujourd’hui plus que jamais, Hong Kong apparaît non seulement comme la ville d’Art Basel Hong Kong ou du M+, mais aussi comme le centre culturel de l’Asie. Lorsque nous avons commencé, en 2013, il n’y avait pas de musée d’envergure internationale. Aujourd’hui, nous avons le Hong Kong Museum of Art (HKMA) et le Tai Kwun Contemporary, mais aussi deux lieux phares – l’un pour le contemporain, le M+, et l’autre pour les antiquités, le Hong Kong Palace Museum (HKPM) –, qui se trouvent pratiquement côte à côte à West Kowloon. Chaque quartier artistique de Hong Kong s’est développé. Prenons par exemple la partie sud de la ville, avec Wong Chuk Hang et Tin Wan. Le premier samedi de chaque mois se tient le Southside Saturday, durant lequel les galeries accueillent du public et organisent parfois des performances, des conférences et des projections. Avant la pandémie, on y voyait surtout des professionnel∙le∙s de l’art, mais aujourd’hui, on y croise aussi des étudiant∙e∙s et des familles. Toute la ville s’est vraiment mise à l’heure de l’art ! Tai Kwun Contemporary a également repris vie après la pandémie et présente actuellement la plus grande exposition d’Asie consacrée aux « mythologies queer ». Le CHAT – Centre for Heritage, Arts and Textile –, pourtant situé dans les Nouveaux Territoires, ne désemplit pas le week-end.Le paysage culturel de Hong Kong s’est aussi considérablement étendu au-delà de l’île. Kowloon n’est plus le « quartier sombre » qu’il était autrefois, et le port offre aujourd’hui un vaste complexe culturel qui s’étend du West Kowloon Cultural District à la K11 Art Foundation, à Tsim Sha Tsui. Il faut ici aussi rendre hommage au Dr Adrian Cheng, qui a considérablement promu l’art contemporain auprès du grand public en organisant de formidables expositions au K11 MUSEA. J’étais autrefois moi-même cette Hongkongaise paresseuse typique qui se rendait rarement de l’autre côté de la baie. Aujourd’hui, il n’est pas un vendredi soir où je ne sois à Kowloon pour assister à un évènement artistique.Lorsque j’ai atterri pour la première fois à Hong Kong, en 2012, j’ai dit au chauffeur de taxi que je m’installais dans la ville pour un travail lié à l’art. Il a ri : « Vous n’êtes pas au courant ? Hong Kong est un désert culturel. » Dix ans plus tard, même les chauffeur∙euse∙s de taxi sont au courant de la semaine de l’art qui se déroule en mars.

Qu’attendez-vous le plus de cette édition 2023 ?Le public ! Cette année, tout le monde pourra de nouveau visiter la foire. Les VIPs pourront enfin retrouver en personne les artistes et les galeries qu’iels ont soutenu∙e∙s depuis l’autre bout du monde. Je reviens tout juste d’un voyage de presse à travers l’Asie, et le public est très enthousiaste à la perspective du retour de la foire.Si quelqu’un venait à Art Basel Hong Kong et ne disposait que d’un après-midi, que lui conseilleriez-vous de faire en premier ?S’iel n’avait qu’un après-midi, je l’encouragerais à découvrir le secteur Insights, où nous mettons en lumière le travail des artistes asiatiques, des pièces historiques aux projets in situ. Iel pourrait par exemple aller voir le stand de la galerie&nbsp;Axel Vervoordt, qui a choisi de montrer le travail de&nbsp;Yuko Nasaka, une des rares artistes femmes du&nbsp;Gutai Art Association. Aussi à ne pas manquer est la Galerie Vazieux, une galerie parisienne dont le program est dédidé à l'art asiatique historique.&nbsp;Et entre les allées, il faut vraiment prendre le temps de découvrir&nbsp;les installations monumentales de notre secteur Encounters, dont la commissaire est Alexie Glass-Kantor. En particulier, je me réjouis de découvrir Mr. Cuddles Under the Eave (2021) de Trevor Yeung. L’œuvre sera finalement dévoilée à Art Basel Hong Kong en mars, après l’annulation de la première qui aurait dû avoir lieu au Pinchuk Art Centre de Kiev.Vous avez rejoint Art Basel Hong Kong dès sa création et collaborez avec nos galeries depuis plus de dix ans. Avant cela, vous avez également travaillé à Dubaï, avec des collectionneur∙euse∙s, des organisations à but non lucratif et des artistes. En quoi cette longue expérience vous a-t-elle préparée à vos nouvelles fonctions ?À bien des égards, il s’agit d’une continuité. Je suis toujours au service de la même communauté, à savoir la communauté artistique – et en particulier asiatique –, comme je l’ai été au cours des 15 dernières années. J’ai commencé à Dubaï dès l’émergence de sa scène artistique contemporaine. Cela m’a permis d’apprendre à constituer une communauté. J’ai également appris que l’on ne peut rien accomplir seul∙e, quelle que soit sa puissance financière. Un écosystème sain ne peut se construire sans le soutien de la communauté. Lorsque je suis arrivée à Hong Kong, la scène artistique était également en plein essor et j’ai immédiatement compris qu’Art Basel avait perçu son potentiel. Ce fut un véritable privilège de grandir avec elle. C’est ce sens de la communauté qui nous a permis de traverser l’épreuve de la Covid-19 : nous savions que nous pouvions compter les un∙e∙s sur les autres.

Comment décririez-vous la communauté des collectionneur∙euse∙s de Hong Kong ?Hong Kong est un véritable creuset de cultures, ce qui en fait une ville très accueillante. Elle est ouverte d’esprit et sait s’adapter. Il en va de même pour la communauté des collectionneur∙euse∙s, également très réceptive aux nouvelles idées. Ainsi, lorsque Art Basel – une foire d’art suisse – est arrivée pour la première fois sur l’île, elle a immédiatement été accueillie favorablement, car ici, les gens apprécient les démarches créatives innovantes.Y a-t-il un type d’art particulièrement apprécié à Hong Kong – ou un style spécifique dans les collections ?Je dirais que la collection type est assez internationale. Les Hongkongais∙e∙s ont le désir de se tenir informé∙e∙s, et d’ailleurs, iels n’achètent pas exclusivement auprès des galeries qu’iels connaissent, mais en soutenant Art Basel Hong Kong, ce sont aussi nos galeries qu’iels soutiennent.Comment voyez-vous l’évolution de la foire ?Nous ne souhaitons pas augmenter le nombre de galeries au-delà de ce qu’il était avant la pandémie, soit environ 240. Cependant, notre influence continuera de s’étendre au niveau local, régional et au-delà, tant à travers notre foire de mars que par le biais des autres initiatives que nous menons à travers l’Asie. Les deux s’enrichissent mutuellement. Nous avons, par exemple, plus de galeries japonaises à la foire cette année, et nous le devons aux relations que nous avons développées au cours des deux éditions de l’Art Week Tokyo (AWT), que nous avons soutenue activement grâce à notre nouvelle équipe commerciale dirigée par Adeline Ooi, directrice d’Art Basel en Asie.Nous avons toujours constitué le pont entre l’Est et l’Ouest, et ce pont va dans les deux sens : nous ne nous contentons pas d’accueillir l’Ouest à l’Est, nous aidons aussi l’Ouest à comprendre l’Est et à apprendre de cette région du monde. Grâce à notre situation géographique au cœur culturel de l’Asie, il n’y a pas de meilleur endroit pour jouer ce rôle majeur de passerelle.

Y a-t-il en Asie des régions qui ont, selon vous, un potentiel particulièrement fort, en dehors de Hong Kong, en matière d’art et de culture ?L’Asie offre une grande diversité, cela dépend vraiment de ce que vous recherchez. Comme Hong Kong est située en Grande Chine, qui est actuellement le deuxième plus grand marché de l’art au monde, je me pose la question de savoir comment rétablir le lien avec la Chine continentale, surtout après trois ans de fermeture des frontières. Nous réfléchissons bien sûr à la manière de nous engager avec les villes voisines de la région de la Grande Baie. C’est un marché jeune, dynamique et puissant. Shenzhen est la Silicon Valley de la Chine et Macao le centre de divertissement de l’Asie, mais toutes les villes de la Grande Baie ont un rôle très spécifique à jouer.Quel est votre meilleur conseil pour un∙e visiteur∙euse qui vient pour la première fois à Hong Kong&nbsp;– et à&nbsp;Art Basel Hong Kong ?Levez les yeux ! Hong Kong est une ville verticale. Nombre de joyaux sont cachés dans des bâtiments commerciaux qui ne ressemblent pas à grand-chose de l’extérieur. Acceptez également l’idée de vous perdre dans la foire et de découvrir où les œuvres vous emmènent. Une foire d’art peut être un labyrinthe pour les personnes qui n’en connaissent pas le plan, mais c’est aussi ce qui rend l’expérience intéressante.Enfin, où peut-on vous trouver le dimanche ?Chaque dimanche matin, je vais surfer ! Avec mon mari, nous emmenons les enfants à la plage de Big Wave Bay vers huit heures : je fais du surf et les enfants jouent au rugby avec leur père.Coline Millard est Executive Editor d'Art Basel.Traduction française : Henri Robert.

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