<p>Galeristes, commissaires, collectionneurs&hellip; Iels racontent comment la capitale française s’est imposée comme centre incontournable de l’art</p>

Ingrid Luquet-Gad

Paris+ par Art Basel consacre une transformation profonde du paysage artistique parisien

<p>« Le moment présent est à nouveau porteur pour Paris, alors même que nous sommes dans une crise sans précédent. » Ce constat, c’est Isabelle Alfonsi qui l’énonce. Depuis fin 2009, la galerie <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1606/Marcelle-Alix">Marcelle Alix</a>, dont elle est la co-fondatrice avec Cécilia Becanovic, officie depuis Belleville. À l’époque, la volonté de s’y installer découlait d’un désir d’organicité. Soit « enfoncer le clou à l’endroit où l’on est », plutôt que de simplement suivre la vague. Or, au début de la décennie, le monde de l’art en général, et le monde de l’art parisien en particulier, était à l’inverse animé d’une frénésie d’ailleurs : il fallait partir, suivre l’opportunité. Défricher, voire conquérir.</p>

<p>Elle ajoute : « En restant à Paris, nous avions préféré participer à un élan collectif et à la co-construction d’une situation. J’ai la sensation que l’on peut faire remonter à ce moment-là l’internationalisation de la ville, qui, jusqu’alors, était restée plutôt provinciale. » Cet alliage de global et de local, « pensé en termes de proximité », est celui qui, pour elle, n’aura eu de cesse de se consolider.</p><p>Aujourd’hui, Isabelle Alfonsi est l’une des trois expert.es pour le secteur Galeries Émergentes&nbsp;de Paris+ par Art Basel, le nouveau salon d’art moderne et contemporain qui ouvrira ses portes le 20 octobre 2022 au Grand Palais Éphémère. Son arrivée est un signe de plus &mdash; et ils sont nombreux &mdash; de l’exceptionnelle attractivité qu’exerce Paris. Au cours des derniers mois, les galeries internationales ayant ouvert ou annoncé leur ouverture prochaine sont pléthore :&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1103/David-Zwirner">David Zwirner</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1153/Hauser-Wirth">Hauser &amp; Wirth</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1316/White-Cube">White Cube</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1441/Skarstedt">Skarstedt</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1517/Dvir-Gallery">Dvir</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1104/Massimo-De-Carlo">Massimo de Carlo</a> et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/2239/Mariane-Ibrahim">Mariane Ibrahim</a>. Il pourrait être tentant d’expliquer ce renouveau parisien par le contexte socio-politique : le Brexit, la crise sanitaire ou encore les Jeux Olympiques, qui auront lieu à Paris en 2024.&nbsp;&nbsp;</p><p>Mais ces implantations récentes, auxquelles il faut encore rajouter la Bourse de Commerce – Pinault Collection, inaugurée au printemps dernier, trouvent sur place un terreau déjà riche et divers. En s’y agrégeant, elles témoignent également de ce qui fait une scène : une pluralité d’acteur.rice.s, de lieux, de voix. Un ensemble de dynamiques inscrites dans le temps long, asynchrones dans leur rythme et plurielles dans leur territoire. « Paris a déjà tout pour être la capitale de l’art. Sa très riche histoire l’aide, mais, selon moi, son potentiel est encore inexploité », abonde le collectionneur Michael Dupouy, venu à l’art par l’entremise de son agence de communication dédiée à la mode et au sportswear, La MJC.</p>

<p>Ce qui a changé serait donc aussi l’effet d’une germination. D’initiatives ponctuelles, progressivement reliées puis rejointes par des pair.e.s. « Lorsque je suis arrivé à Paris en 2016, j’avais le sentiment qu’il y avait beaucoup de scènes parallèles », explique le directeur de Paris+ par Art Basel Clément Delépine, un français new-yorkais d’adoption, qui a rejoint la foire après des années à la tête du salon alternatif Paris Internationale. « Pour les comprendre, j’ai d’abord dû faire un chemin mental. J’ai commencé par devenir proche de certains lieux où je retrouvais des références new-yorkaises dont j’étais plus familier : Edouard Montassut qui montrait Nicolas Ceccaldi, ou High Art Max Hooper Schneider. Puis, petit à petit, je me suis ouvert aux Français de leur programme. » Pour le directeur de Paris+, cette internationalisation progressive a été consolidée par de plus jeunes galeries étrangères, actrices à part entière d’une scène parisienne.</p><p>Or avec l’internationalisation, c’est également un changement d’image et de mentalités qui s’amorce, et une plus grande porosité aux lignes de force qui agitent le présent. Depuis 2016, Caroline Ferreira porte, au Centre Pompidou, le festival annuel MOVE, dédié à la performance et à l’image en mouvement. Sa programmation, qui allie prospection internationale et jeunes artistes basées sur le territoire (pour l’édition 2022, Mona Varichon et Tarek Lakhrissi) porte une attention particulière aux corps racisés, queer et non-valides. « L’attention à ces corps s’est accrue en France et fort heureusement. La traduction en français, en 2022, du livre de Fred Moten et Stefano Harney <em>Les sous-communs</em> par les Éditions Brook, me semble particulièrement révélatrice. »</p>

<p>Exit « la belle endormie, ville un peu hostile aux influences étrangères», telle que l’appréhendait, depuis New York, Clément Delépine. Pour les curateurs Pierre-Alexandre Matéos et Charles Teyssou, qui porteront le premier programme de Conversations de Paris+ par Art Basel, le son de cloche est sensiblement le même.&nbsp;« Paris se rejoue, ou en tout cas, essaye de décortiquer son image d’Épinal », avancent-ils, forts de leurs recherches entreprises dans le cadre du cycle de conférences, performances et soirées <em>Paris Orbital</em>, mené depuis mars à la Bourse de Commerce – Pinault Collection. En prenant pour exemples les artistes Will Benedict, « le plus californien des artistes français », et le duo de cinéastes Caroline Poggi &amp; Jonathan Vinel, « baignées dans une culture MTV et une mélancolie fin de siècle », ils diagnostiquent l’arrivée « d’un sens de l’autodérision, qui brise avec la grande histoire de l’art et la solennité autrefois de mise et rejoint le rush d’une culture interdisciplinaire de la marge. »</p><p>Pour le collectionneur Michael Dupouy, le constat opère tout autant au niveau des industries du luxe : « Elles sont des passerelles qui interagissent les unes avec les autres. La ‘marque’ Paris est un atout majeur. » Il souligne aussi le rôle clé de <em>project spaces</em> comme The Community ou Exo Exo. « Aujourd’hui, plutôt qu’une scène, il y a plutôt une énergie », répond en écho la curatrice Rebecca Lamarche-Vadel, qui a fait ses armes au Palais de Tokyo avant de prendre la tête de Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette en 2019. Tout en insistant sur la collaboration « d’intérêt général » entre les institutions publiques et privées, elle élargit cette organicité à l’ensemble du maillage parisien : « Les territoires de la banlieue, qui souffraient d’une véritable ostracisation, sont désormais des lieux désirables et convoités. Grâce à différentes initiatives comme POUSH, le 6B ou Doc !, de nombreux artistes ont accès à des ateliers. »</p>

<p>En octobre 2019,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1325/Air-de-Paris">Air de Paris</a> déménageait à Romainville. Au sein du site artistique Komunuma, la galerie y voisinait avec Sator,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1132/Galerie-Jocelyn-Wolff">Jocelyn Wolff</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/2012/In-Situ-fabienne-leclerc">In Situ – Fabienne Leclerc</a>, rejointes par Laurel Parker Book et Maëlle Galerie, à proximité immédiate des résidences de la Fondation Fiminco, Jeune Création et des réserves du Frac Île-de-France. « Air de Paris a toujours aimé les périphéries, et ce mot conserve un sens pour moi, même au sein d’un monde de l’art globalisé », raconte Florence Bonnefous, qui, en 1990, co-fondait la galerie à Nice avec Edouard Merino. Autre membre du comité de sélection de Paris+ par Art Basel, elle ajoute : « Mon choix répond au besoin de poursuivre, tant que cela sera possible, un projet de vie qui se déploie dans le fait de monter des expositions et de vivre avec des œuvres d’art. »</p><p>En réponse à un présent confus, la scène parisienne, ou plus exactement, les scènes grand-parisiennes, réaffirment l’attachement à un art contextuel, collectif et convivial. Celui-ci est chevillé tout autant à l’ouverture de lieux qu’à la réinvention de liens, à la consolidation de logiques interstitielles qu’à la défense de Zones Artistiques à Désirer – un terme soufflé, d’après l’auteur de science-fiction Alain Damasio, par Florence Bonnefous. Et Clément Delépine d’ouvrir sur un présent proche : « À rebours d’une période où l’identité a beaucoup été définie comme un paramètre excluant, j’aimerais que Paris+ puisse devenir un évènement français incluant et accueillant. »</p>

<p>Ingrid Luquet-Gad est une critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle est en charge de la rubrique art des <em>Inrockuptibles</em>, membre du comité de rédaction de <em>Spike Art Magazine</em> et correspondante pour <em>Flash Art</em>.&nbsp;</p><p><a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/FogPB0W" target="_blank">Festival MOVE, 'Culture club – Corps collectifs'</a><br />Centre Pompidou<br />Du 6 au 23 octobre 2022</p><p>Légende pour les images pleine page : photographies par Aliki Christoforou pour Art Basel</p>

<section> <section><main><div><div><p>156 exposants venus du monde entier se réuniront au Grand Palais Éphémère au mois d’octobre</p></div> </div><section></section></main></section></section> <section></section>

Stories

Découvrez les galeries sélectionnées pour l'édition inaugurale de Paris+ par Art Basel

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Les géographies non humaines de Tatiana Trouvé

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