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<p>Dans le deuxième entretien d’une nouvelle série dédiée au travail des artistes au-delà des arts visuels, elle discute de sa collaboration avec le chorégraphe Wayne McGregor, de la coiffure et du pouvoir de l’ignorance</p>
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Coline Milliard

Comment Tacita Dean s’est faite costumière et scénographe pour The Dante Project


<p>Les artistes ne font pas uniquement de l’art. Et leurs incursions sont particulièrement fécondes lorsqu’elles les conduisent sur une scène. L’histoire des peintres et des sculpteur∙rice∙s qui ont conçu des décors et des costumes pour l’opéra et la danse est d’une richesse inouïe. L’extraordinaire imprésario Diaghilev a donné le ton au début du 20<sup>e</sup> siècle pour les Ballets russes, réunissant <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/6746/Pablo-Picasso" target="_blank">Picasso</a>, Cocteau et Coco Chanel avec la danseuse et chorégraphe Nijinska. D’innombrables artistes ont suivi, parmi lesquel∙le∙s <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/17059/Sonia-Delaunay" target="_blank">Sonia Delaunay</a>, <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/7510/David-Hockney" target="_blank">David Hockney</a>, et&nbsp;<a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/11480/Henry-Moore" target="_blank">Henry Moore</a>.</p>
<p>La collaboration de <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/8104/Tacita-Dean" target="_blank">Tacita Dean</a> avec le chorégraphe Wayne McGregor et le compositeur Thomas Adès sur<em> The Dante Project </em>s’inscrit dans cette lignée. Présenté pour la première fois dans son intégralité au Royal Opera House de Londres en 2021, ce ballet est inspiré du poème épique de Dante,<em> La Divine Comédie</em> (achevé en 1321), qui suit le jeune Dante dans son voyage à travers l’Enfer, le Purgatoire et enfin le Paradis, guidé par le poète Virgile et l’angélique Béatrice.</p>
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<p><em>The Dante Project</em> est la première incursion de Tacita Dean dans l’univers de la danse. L’artiste, connue pour son amour des médiums analogiques, vient d’inaugurer à la Bourse de Commerce - Pinault Collection, à Paris, « Geography Biography ». Cette exposition d'œuvres récentes fait suite à celles, toutes prestigieuses, qui, de la National Gallery à Londres au Centre Pompidou de Paris, en passant par le New Museum de New York, ont jalonné ses 30 ans de carrière. Un mois avant son ouverture à la Bourse de Commerce, <em>The Dante Project</em> a été inauguré à l’Opéra Garnier avec une nouvelle distribution, et c’est sous le célèbre plafond peint par <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/7632/Marc-Chagall" target="_blank">Chagall</a> que s’est déroulé ce voyage initiatique. La pièce reviendra ensuite à Londres, où elle sera dansé par le Royal Ballet au Royal Opera House à Covent Garden, du 18 novembre au 2 décembre 2023.&nbsp;<br></p>
<p>Dans cette deuxième interview d’une série qui revisite le concept de « The Artist as… » des Art Basel Conversations – en s’intéressant aux activités des artistes parallèlement à leur carrière –, Tacita Dean revient sur sa collaboration avec Wayne McGregor et Thomas Adès.</p>
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<p><strong>Comment est né <em>The</em>
<em>Dante Project</em> ? À quel moment avez-vous rejoint l’équipe ?</strong></p>
<p>Wayne McGregor m’a invitée. Lui et Thomas Adès avaient décidé de travailler à un projet basé sur <em>La</em>
<em>Divine Comédie</em> de Dante – et parce que c’était Wayne et Tom, et parce que c’était Dante, j’ai dit oui. Je me suis donc plus ou moins impliquée dès le début.</p>
<p><strong>Vous ont-ils communiqué la musique et la chorégraphie ?</strong></p>
<p>Oh non, au départ, il n’y avait rien. En fait, j’ai créé le décor avant même de connaître la chorégraphie et d’avoir entendu la musique.</p>
<p><strong>Vous n’aviez jamais conçu de décors et de costumes auparavant ?</strong></p>
<p>Non, jamais.</p>
<p><strong>Et excepté le poème de Dante en lui-même, vous n’aviez donc rien, ou presque, sur quoi vous baser pour avancer ?</strong></p>
<p>Non, et j’étais perdue. La plupart des concepteur∙rice∙s travaillent à partir d’une partition existante, mais ici, Tom composait encore la musique pendant que je travaillais sur le plateau. La chorégraphie vient généralement en dernier. En fin de compte, j’ai trouvé mes marques en m’en tenant à ma propre approche, sans essayer d’imaginer comment un∙e scénographe s’y prendrait. J’ai fait ce que je voulais faire en tant qu’artiste : un dessin, une photographie et un film.</p>

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<p><strong>Dans le premier acte, Inferno, le décor est un gigantesque dessin à la craie. Dans le deuxième acte, Purgatorio, il y a une photographie d’un arbre, et le dernier acte, Paradiso, présente un film abstrait : les trois piliers de votre pratique artistique visuelle se déploient parallèlement à la chorégraphie elle-même.</strong></p>

<p>J’ai décidé d’utiliser différents médiums parce que je voulais que chaque partie soit visuellement très différente. Les trois actes ont des identités distinctes en termes de conception, de musique et de chorégraphie. </p>
<p><strong>Quel était le cahier des charges pour vous ?</strong></p>
<p>Le cahier des charges, c’était Dante. À l’origine, Tom avait été chargé d’écrire Inferno en un acte et de réunir Purgatorio et Paradiso en un second acte. Mais il me semblait vraiment important que Purgatorio fasse l’objet d’un acte à part entière. À l’origine, j’avais proposé à Wayne que Purgatorio soit juste un moment de silence. Puis nous en avons discuté avec Tom, qui a suggéré du son enregistré. Finalement, Tom a utilisé à la fois des sons enregistrés et de la musique écrite spécifiquement pour Purgatorio, qui est un acte très important.</p>
<p>Ce projet est lié à l’expérience de la pandémie. Pour certain∙e∙s, c’était vraiment l’enfer, mais pour la plupart d’entre nous, c’était une sorte de purgatoire – et puis les portes du paradis se sont ouvertes lorsque le spectacle a finalement débuté, le 14 octobre [2021]. C’était un incroyable sentiment de liberté après les deux années que nous avions vécues.</p>
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<p><strong>Comment concevoir des œuvres d’art pour des corps en mouvement ?</strong></p>
<p>Cela a été le fruit d’un long processus de formation. Partie de tout autre chose, je suis devenue peu à peu de plus en plus minimaliste. Finalement, la craie et la poussière de craie sont devenues ma métaphore. L’ensemble du concept part du négatif et accède au positif par le biais du Purgatoire, qui représente un état transitoire négatif-positif. Dans l’Enfer, les costumes sont noirs et aspergés de craie blanche, comme des dessins sur un tableau noir. Le péché est blanc, et plus une âme a péché, plus elle devient blanche – contrairement à la tradition culturelle occidentale, où le péché est souvent représenté en noir. À la fin, les danseur∙euse∙s se transforment en âmes glorieuses revêtues d’argent et d’or : de pécheur∙resse∙s, iels deviennent pénitent∙e∙s, puis atteignent le statut d’âmes.</p>

<p>De la même façon, au début, la couleur des costumes des personnages de Dante et de Virgile est, en négatif, celle de leurs représentations traditionnelles. Chez Botticelli et Blake, par exemple, Dante est toujours en rouge et Virgile en bleu. J’ai utilisé l’exact opposé des couleurs utilisées par Botticelli dans ses dessins : l’opposé du rouge de Dante est un bleu turquoise et celui du bleu de Virgile est un jaune sale.</p>
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<p><strong>Avez-vous eu l’impression que cette invitation vous a apporté une certaine liberté –</strong> <strong>ou une parenthèse, peut-être</strong> <strong>– par rapport à l’art visuel tel que vous le pratiquez depuis plus de 30 ans ?</strong></p>
<p>C’était tout à fait passionnant – et un peu épuisant. Mais oui, c’est vraiment enthousiasmant. J’ai toujours aimé être dans les coulisses, même dans mes premières œuvres comme <em>Foley Artist</em> [1996]. Les coulisses m’ont toujours intéressée.<br></p>
<p><strong>Ce projet a complètement changé votre relation avec votre public. En tant qu’artiste visuelle, vous êtes toujours au premier plan. Ici, votre travail passe littéralement au second plan. Il est également présenté à des personnes qui n’ont probablement jamais entendu parler de votre pratique auparavant.</strong></p>
<p>Et je suis certaine qu’iels ne savent toujours pas qui je suis ! Lorsque le rideau s’est levé pour la première fois à Los Angeles et que le public a vu le dessin sur le tableau noir, on a entendu un souffle dans l’assistance. C’était le meilleur moment. Mais il s’est passé bien d’autres choses. Lorsque nous répétions au Palais Garnier, je recevais des notes sur les coiffures. Et je me disais : « Je n’y connais rien en coiffure et en maquillage ! » C’est difficile d’être responsable de tout cela à la fois.</p>
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<p><strong>Avec le recul, quel a été le plus grand défi que vous avez eu à relever ?</strong></p>
<p>La première difficulté a été de savoir comment réussir, ne serait-ce qu’y penser, et j’ai évité de le faire pendant très longtemps. Wayne a envoyé à Los Angeles Catherine Smith, sa collaboratrice en design, pour m’aider. Elle m’a été d’un grand secours parce qu’elle s’y connaît en élévations, elle sait comment fonctionne ceci ou cela – des choses dont je n’avais pas la moindre idée. L’ignorance – le fait d’être un poisson hors de l’eau – a été difficile au début. Mais Catherine m’a vraiment aidée à comprendre comment ce que je voulais faire fonctionnerait sur scène.</p>
<p>Le second challenge était de concevoir les costumes, et j’ai reçu beaucoup d’aide de Fay Fullerton, de ce département. Elle me disait : « Je sais que tu ne sais pas ce que tu veux, mais tu sais ce que tu ne veux pas. » J’ai adoré. Mais je ne sais pas si je le referais un jour.</p>
<p><strong>Qu’est-ce qu’un</strong><strong>∙</strong><strong>e artiste visuel</strong><strong>∙</strong><strong>le peut apporter au projet d’un∙e scénographe ou d’un</strong>∙<strong>e costumier</strong><strong>∙</strong><strong>ère professionnel</strong><strong>∙</strong><strong>le ?</strong></p>
<p>La réponse est peut-être l’ignorance. Vous faites des choses sans être limité∙e par votre formation. C’est ça la liberté, non ?</p>

<p>Tacita Dean est représentée par&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1521/Frith-Street-Gallery" target="_blank">Frith Street Gallery</a>&nbsp;(Londres) et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1198/Marian-Goodman-Gallery" target="_blank">Marian Goodman</a> (New York, Paris, Los Angeles).</p>
<p>Tacita Dean<br>«&nbsp;Geography Biography&nbsp;»<br>Jusqu’au 18 septembre 2023<br>Bourse de Commerce -&nbsp;Pinault Collection, Paris<br></p>
<p>Coline Milliard est Executive Editor chez Art Basel.</p>
<p>Publié le 9 juin 2023.<br></p>
<p>Légende des images en pleine page, de haut en bas&nbsp;: 1.&nbsp;Edward Watson et Sarah Lamb dans&nbsp;<em>The Dante Project</em> © 2021 ROH. Photographie d’Andrej Uspenski. 2.&nbsp;Artistes du Royal Ballet dans <em>The Dante Project</em>, The Royal Ballet ©&nbsp;2021 ROH. Photographie d’Andrej Uspenski 3.&nbsp;<em>The Dante Project</em>, The Royal Ballet. 4.&nbsp;Tacita Dean dessinant&nbsp;<em>The Montafon Letter</em>, 2017.</p>

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<p>Pour le premier entretien de cette nouvelle série dédiée au travail mené par les artistes au-delà de l’art, nous évoquons avec Yto Barrada sa vision pour The Mothership, un centre de recherche communautaire ancré dans le paysage marocain</p>
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Stories

Yto Barrada : réparer le monde avec un jardin tinctorial

A deep dive into French-speaking Switzerland’s vibrant contemporary art scene

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Conversations Series

The Artist As

Dans le deuxième entretien d’une nouvelle série dédiée au travail des artistes au-delà des arts visuels, elle discute de sa collaboration avec le chorégraphe Wayne McGregor, de la coiffure et du pouvoir de l’ignorance

Artists

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Tacita, Wreck of Hope

The Dante Project

Q123

Tacita

Q910

Geography Biography

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H2 - Headline title

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In the second interview in a new series dedicated to artists’ work beyond art, she discusses her acclaimed collaboration with choreographer Wayne McGregor, hairdos, and the power of ignorance

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