<p>À la faveur de la levée des restrictions liées à la politique zéro-Covid 19, émerge un Hong Kong en pleine mutation</p>

Ingrid Pui Yee Chu

Encore des montagnes : la transformation de Hong Kong est déjà en marche

<p>Prenons du recul sur la ville. De jour, en arrière-plan de la forêt d’immeubles, des montagnes s’élèvent, rappelant le proverbe contemporain « Après les montagnes, encore des montagnes ». La nuit, les façades brillamment éclairées qui définissent la ligne d'horizon emblématique de Hong Kong se reflètent dans le port historique de Victoria et leurs reflets chatoyants se déplacent au gré des flux et reflux de l'eau.</p><p>Une vision fluide de Hong Kong est certainement appropriée. Au sein de cette plaque tournante du commerce international portée par sa situation dans la région de la Grande Baie, la fin des politiques régionales de lutte contre la pandémie, attendue avec impatience, est symbole de renaissance. Désireuse de reconquérir son statut de « ville mondiale d'Asie », où convergent « opportunités, créativité et esprit d'entreprise », Hong Kong et son écosystème artistique montrent les signes d’un redémarrage. Selon le <em>Art Basel and UBS Global Art Market Report</em> <em>2022</em>, parmi les galeries dont la croissance des ventes a été la plus importante en 2021 dans le monde, beaucoup sont basées dans la ville qui abrite également le plus grand pourcentage de personnes se disant mécènes. Parmi celles-ci figure Alan Lo, qui décrit Hong Kong comme « l'épicentre du commerce de l'art en raison de son statut de seul véritable port franc d'Asie ».</p>

<p>Le paysage culturel de Hong Kong a continué à se transformer malgré son récent isolement. Si des tours emblématiques comme Jardine House, conçue par Palmer &amp; Turner et achevée en 1972, et celles des sièges historiques de banques telle la Bank of China Tower de I. M. Pei, construite dans les années 1980, offraient auparavant des vues dignes d'une carte postale, de nouvelles, aussi importantes, sont apparues – et c’est notamment en leur sein que sont abritées les œuvres d'art de la région. Il s'agit notamment des « grandes constructions » du quartier culturel de West Kowloon, parmi lesquelles le musée de culture visuelle M+, qui a ouvert ses portes en novembre 2021 et a été conçu par Herzog &amp; de Meuron, également architectes du nouveau siège de Phillips situé à proximité. Sa façade et son <span style="background-color: initial;">incontournable système de panneaux LED sont associés à la programmation de l’institution ; en 2022, sa commande inaugurale, coparrainée par le M+ et Art Basel Hong Kong, était <em>The Shape of Light</em> de l'artiste hongkongaise&nbsp;</span><a href="https://www.artbasel.com/stories/meet-the-artists-ellen-pau-hong-kong">Ellen Pau</a>. Rayonnant « comme un phare surplombant la mer », l'animation mettait en scène un personnage gesticulant, le <em style="background-color: initial;">Sutra du Diamant</em>, en langue des signes chinoise, transformant le bâtiment du M+ en « un gardien éclairant tou∙te∙s les voyageur∙eu∙se∙s et ceux∙elles qui rentrent chez eux∙elles », ainsi que le décrit l’artiste elle-même.</p>

<p>Les ambitions du nouveau musée sont parfaitement illustrées par « The Dream of the Museum » (jusqu’au 23 avril 2023), l'une des nombreuses expositions inaugurales. Organisée par le conservateur en chef du M+, Doryun Chong, avec les commissaires Hester Chan et Ariadne Long, l’exposition délaisse le white cube pour les boîtes en bois des « Courtyard Galleries », dont la conception rend hommage à l'architecture asiatique traditionnelle. Entre exposition et déballage de la collection, des caisses d'expédition sont utilisées pour présenter les acquisitions du musée, telles <em style="background-color: initial;">From or by Marcel Duchamp or Rrose Sélavy (Box in a Valise)</em> (1935-1941/1963-1966) de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7356/Marcel-Duchamp">Marcel Duchamp</a>, une installation consistant en une vitrine centrale donnant à voir une boîte contenant des reproductions miniatures d’œuvres de Duchamp, et <em style="background-color: initial;">A Requiem: Theater of Creativity / Self-portrait as Marcel Duchamp (Based on the Photo by Julian Wasser)</em> (2010), dans laquelle Morimura Yasumasa endosse deux identités dans une photographie inspirée de celle montrant Marcel Duchamp et Eve Babitz jouant aux échecs. Ces œuvres reflètent ce que le conservateur Nick Yu exprime en parlant de « la lutte fondamentale du M+ en tant que jeune musée » et « espace non blanc » qui, « tout en étant redevable des aspirations idéologiques des grands musées d'art moderne comme le Museum of Modern Art de New York, le Centre Pompidou de Paris et la Tate Modern de Londres, ambitionne d’ouvrir la voie pour une culture visuelle dépassant la centralité occidentale ».</p>

<p>Mais cette délocalisation n'est pas tant une volonté de différenciation qu'une redéfinition des cadres de référence – un changement de forme culturelle qui se reflète également dans la vague de nouveaux lieux artistiques qui ont vu le jour à Hong Kong ces dernières années. Nombre de promoteurs immobiliers soutiennent des projets urbains mettant en avant la culture, le commerce et la communauté ; ainsi la H Queen's, une tour de 24 étages conçue par l'architecte et collectionneur William Lim, de l’agence d’architecture CL3, a été ouverte en 2018 par Henderson Development Agency Ltd. Elle accueillera les premières antennes régionales de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1153/Hauser-Wirth">Hauser &amp; Wirth</a>&nbsp;et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1103/David-Zwirner">David Zwirner</a>, aux côtés de la&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1242/Pace-Gallery">Pace</a>&nbsp;et d'autres grandes galeries internationales. La société Henderson Land Group souhaite quant à elle que sa prochaine tour à usage mixte, The Henderson, conçue par Zaha Hadid Architects, devienne « l'un des bâtiments les plus emblématiques du monde ». Prévue pour ouvrir en 2024, elle accueillera le nouveau siège de Christie's à Hong Kong.</p>

<p>Alors que l’élan actuel de la scène culturelle hongkongaise s’appuie sur une histoire ancienne, la plupart des graines ont été semées par des descendant∙e∙s l'industrie locale au cours des dernières décennies. Ainsi, Adrian Cheng a créé K11 sous l'égide de son entreprise familiale, New World Development, en 2008. Depuis lors, son objectif de créer un « mouvement artisanal » a évolué. Outre le lancement, en 2010,  d’une fondation artistique engagée dans des alliances stratégiques avec des institutions internationales de premier plan, du Centre Pompidou au MoMA, pour organiser des expositions en Chine et à Hong Kong, Adrian Cheng est à l’origine des résidences hôtelières de luxe Artus, des immeubles de bureaux K11 Atelier conçus comme des « villes créatives verticales », de « centres commerciaux d'art », et jusqu’au musée-centre commercial K11 Musea, décrit comme une « Silicon Valley de la culture ».</p><p>Des villages d'art K11 ont été ouverts à Wuhan en 2009 et 2011, où un « quartier d’habitation multiculturel » a été lancé en 2010. La même année, la « Maison écologique » K11 a été inaugurée à Pékin en 2010, avec l’objectif de développer 16 autres projets dans huit villes de Chine. En 2024, le centre d'art, de bureaux et de commerces K11 Ecoast, d'une superficie de près de 223 000 m<sup style="background-color: initial;">2</sup>, sera inauguré à Shenzhen.</p>

<p>Surfant sur l’image de Hong Kong en tant que « ville centre-commercial » pour construire ce que l'architecte et auteur hollandais Stefan Al décrit comme un « monde de rêve de la consommation », Adrian Cheng veut rendre l'art accessible au public et s’inscrivant dans une dynamique plus large. Depuis C&amp;G, le duo artistique désormais basé au Royaume-Uni, qui a longtemps utilisé son ancien « appartement de création » de Hong Kong comme espace de projet alternatif, jusqu’à des boutiques hôtels comme Eaton HK ayant pour objectif de reconvertir l’industrie hôtelière en « force du bien » à sa réouverture en 2018 ; lieu d’accueil de pratiques expérimentales, proposant des expositions, des résidences, divers projets et des festivals. Des restaurants prisés des collectionneur∙euse∙s d’art comme Duddell's et Ping Pong ont également joué un rôle central en fournissant des espaces d’exposition alternatifs pour des projets ne trouvant pas de lieux répondant à leurs aspirations et à leur budget.</p>

<p>Avec des ambitions et à des échelles différentes, des institutions publiques établies comme le Hong Kong Arts Center, créé en 1977, et le Hong Kong Museum of Art, fondé en 1962 – rouvert en 2019 après une importante expansion –, sont également en pleine évolution. C’est également le cas d’espaces artistiques à but non lucratif qui mettent aujourd’hui en avant le « patrimoine vivant », comme le Center for Heritage, Arts &amp; Textile (CHAT), une ancienne usine textile, et le Tai Kwun Center for Heritage and Arts, installé dans un complexe abritant, pendant la colonisation britannique, un commissariat et une prison.</p><p>En tant que destination culturelle, Tai Kwun propose un riche programme artistique associé à des boutiques, et attire un large public (plusieurs millions à ce jour) grâce à un mélange éclectique de spectacles de cirque, de concerts, de projections et de performances qui se déroulent toute l'année dans la cour centrale. Pour ajouter au dynamisme, les commissaires de l'institution évitent les manifestations grand public pour privilégier une programmation plus expérimentale, à l’image de la première grande exposition consacrée, à Hong Kong, aux questions LGBTQ+. Intitulée « Myth Makers - Spectrosynthesis III » (jusqu’au 10 avril 2023), elle intègre des œuvres de la collection de la Sunpride Foundation et est curatée par Chantal Wong et Inti Guerrero.</p>

<p>Le rapprochement de Hong Kong avec la Chine continentale a par ailleurs donné lieu à un flot d'allées et venues. Le commissaire Billy Tang est arrivé en 2022 du Rockbund Art Museum (RAM) de Shanghai pour diriger l’organisation à but non lucratif Para Site, avec l’objectif d’étendre l’institution jusqu’au quartier de Quarry Bay et d’organiser davantage d'expositions itinérantes. « Nous nous sentons investis d’une plus grande responsabilité dans la création de projets, que cela soit dans la prise en compte de la question écologique ou dans la sauvegarde de la vitalité du monde de l'art local », souligne-t-il. « Bien sûr, il y aura un juste degré d'imprévisibilité, et j'espère que le public sera attiré par l'institution avec l'idée de ne pas savoir à quoi s'attendre. » Les acteurs qui n'ont pas succombé aux récents mouvements migratoires développent leurs espaces et leurs visions. C’est le cas de la&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1344/Blindspot-Gallery">Blindspot Gallery</a>, qui rénove actuellement son espace dans le quartier des galeries de Wong Chuk Hang, ou de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1342/Ben-Brown-Fine-Arts">Ben Brown Fine Arts</a>, qui a déménagé en 2020, ou encore de Mine Project, fondée en 2019 et relancée sous le nom de Mou Projects en 2022. D'autres galeries ont accru leur soutien aux artistes de Hong Kong, comme la&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1362/Gallery-Exit">galerie EXIT</a>, qui représente notamment les peintres&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/30797/Stephen-CHUN-Hei-Wong">Stephen Wong Chun Hei</a>, Kwong Wing Kwan et Oscar Chan Yik Long.</p>

<p>À l’instar d'Asia Art Archive, fondée il y a 23 ans et désormais dirigée par l'artiste Christopher K. Ho, qui fait figure de référence en termes de documentation de l'art contemporaind'Asie et qui poursuit son développement en agrandissant ses locaux actuels de Sheung Wan, un nombre croissant de salles de lecture ont fait leur apparition dans des espaces d'art sur une base semi-permanente afin d'enrichir des archives régionales en pleine expansion. Quant à l'exploration d'autres modèles d'exposition, d’anciennes institutions artistiques indépendantes ont évolué, comme Current Plans et NewPark 新公園 (anciennement Present Projects et 100 Ft. Park respectivement), tandis que des commissaires comme Hilda Chan créent des rencontres entre l'ancien et le nouveau monde. Mise en scène pour la première fois en 2020, avec une deuxième édition en 2022, « Up Close, Hollywood Road » investit plusieurs magasins d'antiquités situés le long de l'historique Hollywood Road de Hong Kong pour y présenter des œuvres contemporaines. Cette exposition, qui s'inscrit dans le cadre du projet collaboratif MUSTHAVEKEYS de la commissaire, met en lumière le commerce de l'art et de l'artisanat de Hong Kong, lequel, comme elle le souligne, a vu le jour « bien avant l'émergence et le développement de l'industrie de l'art contemporain ».</p>

<p>Dans le pur style de Hong Kong, c’est la perpétuelle transformation qui définit une ville qui a toujours démontré sa capacité à se développer. Une multitude de jeunes espaces artistiques anime sa scène culturelle, qu'il s'agisse d'initiatives indépendantes gérées par des artistes comme Hidden Space, créé en 2017 à Kwai Hing, et Feyerabend, fondé en 2021 à Tai Kok Tsui, ou de la galerie d’art contemporain (accessible sur rendez-vous) PHD Group (Property Holdings Development Group). Lancée en 2021 par l’auteure et éditrice Ysabelle Cheung et le galeriste Willem Molesworth, PHD Group est installée sur le toit d’un ancien clubhouse privé, rénové par Beau Architects. Cette agence a également conçu les deux nouveaux espaces de la galerie&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1401/Kiang-Malingue">Kiang Malingue</a>, achevés en 2022 : un « studio » dans le quartier culturel de South Island et un ancien immeuble d'habitation Tong lau à Wan Chai, un quartier que la directrice de la galerie, Lorraine Kiang, décrit comme étant « pris en sandwich entre des complexes résidentiels, des boutiques, des restaurants locaux, des magasins de fournitures et des immeubles de bureaux ». L'écosystème artistique de Hong Kong, en perpétuelle mutation, évolue avec son temps et pose les bases d'une résurgence dont la résonnance dépassera immanquablement les frontières de la ville.</p>

<p>Ingrid Chu est une commissaire d'exposition basée à Hong Kong.</p><p><a href="https://admin-live.artbasel.com/hong-kong">Art Basel Hong Kong</a> revient au Hong Kong Convention and Exhibition Centre (HKCEC) du 23 au 25 mars 2023.</p><p>Traduction française : Henri Robert.</p><p>Publié le 12 janvier 2023.</p><p>Légendes des images en pleine page, de haut en bas :&nbsp;1. Une scène de rue à Wan Chai. 2. Vue de la skyline de Hong Kong, avec le Hong Kong&nbsp;Convention and Exhibition Centre (HKCEC) au centre. 3. M+. 4. Hong Kong de nuit. 5. Tai Kwun. 6. Un marché à Kowloon. Toutes les images et vidéos :&nbsp;Luke Casey pour Art Basel.</p>

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Para 3

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Para 4

para 5

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Para 6 & 7

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para 9 and 10

Tai Kwun

Para 11

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Para 12

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Para 13

PHD Group

Kiang Malingue

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