En arrivant sur la Messeplatz de Bâle avant l’ouverture de la plus grande foire d’art au monde à la mi-juin, le·la visiteur·euse sera déjà immergé·e dans une œuvre monumentale : l’artiste Katharina Grosse s’apprête à recouvrir l’espace avec l’une de ses peintures géantes, bombardant de couleurs les bâtiments et fontaines de ses spirales et boucles caractéristiques. À moins d’une semaine de l’ouverture de la foire, sa directrice Maike Cruse s’affaire, enchaînant les appels téléphoniques et messages WhatsApp avec les galeries, journalistes et collectionneur·euse·s, toutes et tous avides d’être de la partie. Nous l’avons rencontrée pour découvrir les temps forts de cette édition.

Skye Sherwin : Beaucoup de nouveautés sont au programme d’Art Basel 2025, notamment un nouveau secteur, les Art Basel Awards et un nombre élevé de primo-exposants. Quelles sont les principales évolutions ?

Maike Cruse : Art Basel est notre foire phare, celle où les galeries sortent le grand jeu. Parmi les œuvres remarquables exposées, citons une grande toile tardive de Pablo Picasso, Homme à la pipe assis et amour (1969) chez Pace, qui présente également une peinture abstraite de 1969 de Joan Mitchell, Sans titre – une artiste enfin reconnue comme la pionnière de l’expressionnisme abstrait qu’elle était. De même, la galerie Yares expose sa consœur Helen Frankenthaler avec Swan Lake 1 (1969). La galerie Di Donna présente Sueño de Sirenas (Rêve de sirène) (1963) de Leonora Carrington, un surprenant triptyque enchâssé dans un cadre de bois sculpté. Enfin, Lehmann Maupin expose une œuvre rare d’Heidi Bucher : une empreinte latex fragile et monumentale d’une pièce. Ces œuvres ne sortent pratiquement jamais des musées. Bien sûr, ce n’est qu’un petit échantillon : j’ai été très impressionnée par les listes d’œuvres que les galeries partagent avec moi, et j’ai hâte de voir l’exposition prendre forme.

Nous cherchons toujours à renouveler la foire : 20 galeries nous rejoignent à Bâle pour la toute première fois. Parmi les plus jeunes, citons Emalin et Arcadia Missa, toutes deux londoniennes, François Ghebaly de Los Angeles et New York, et Hunt Kastner de Prague. L’Asie sera également très présente : Beijing Commune expose des artistes chinois·es de quatre générations différentes, des pionnier·es Zhang Xiaogang et Wang Luyan aux figures contemporaines comme Ma Qiusha et Chang Yuchen, avec des œuvres qui explorent l’identité, la mémoire, la mondialisation et la matérialité. The Third Gallery Aya d’Osaka met en lumière trois femmes, pionnières de la photographie japonaise – Amazawa Eiko, Okanoue Toshiko et Ishiuchi Miyako – présentant des tirages vintages rares, des collages et des œuvres iconiques qui célèbrent leurs contributions révolutionnaires au médium.

SS : Qu’est-ce que le nouveau secteur Premiere, et pourquoi avez-vous décidé de le créer ?

MC : C’est une section destinée à des galeries plus jeunes, qui sont invitées à présenter des œuvres d’avant-garde réalisées lors des cinq dernières années. Elle permet aux galeries d’introduire sur le marché des œuvres récentes à l’occasion d’Art Basel, d’artistes à mi-carrière ou plus établi·e·s. Nous créons un espace pour les galeries qui se situent dans cette zone intermédiaire entre celles dites émergentes et celles plus établies, qui présentent des artistes « blue-chip », et qui souhaitent participer à Art Basel.

La réponse a été très positive. Par exemple, Edel Assanti de Londres présente le travail de Lonnie Holley axé sur la justice sociale, notamment une sculpture majeure montrée lors de son exposition personnelle au Camden Art Center l’année dernière. Lonnie Holley présentera également une vidéo récente au sein d’Unlimited. Jacky Strenz de Francfort consacre son stand au travail de Lin May Saeed – une artiste dont la sculpture reflétait l’ engagement pour les droits des animaux, et qui est malheureusement décédée à l’âge de 50 ans en 2023. Gypsum Gallery du Caire met en avant deux artistes avec de nouvelles peintures de Dimitra Charamandas et la photographie analogique de Basim Magdy explorant les paysages côtiers et volcaniques.

SS : Le secteur Unlimited est un incontournable pour beaucoup. Que nous réserve-t-il cette année ?

MC : Nous avons 67 œuvres monumentales à l’échelle muséale, incluant vidéos et performances. Le collectif de danse cairote nasa4nasa se produit quotidiennement.

Parmi les pièces de qualité muséale figurent les Entrées de métro transportables de Martin Kippenberger, sa vision d’un réseau de métro s’étendant à travers le monde, et la Plateforme de danse go-go de Félix González-Torres, qui aborde la réalité corporelle pendant la crise du sida et le climat homophobe des années 1980-1990.

Nous présentons également des œuvres inédites, jamais vues auparavant, notamment Desert Seeds (2025) d’Ayan Farah, une peinture paysagère de 12 mètres réalisée avec la terre elle-même – argile somalienne et eau ensemencée de nuages des Émirats arabes unis. Danse Macabre de Nicola Turner est une sculpture abstraite monumentale et sinueuse, fabriquée à partir de crin de cheval récupéré et de laine brute, évoquant un corps en mouvement ou en décomposition.

SS: C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre avec le lancement par la foire des Art Basel Awards, un ensemble complet de distinctions dédiées aux acteur·rice·s du monde de l’art, avec 36 médaillés dans 9 catégories, allant de jeunes talents comme l’artiste et compositrice Pan Daijing ou la créatrice de mode Grace Wales Bonner à des noms établis comme Lubaina Himid et le studio de design Formafantasma. Que peut-on attendre de l’événement inaugural qui se déroulera à Bâle ?

MC : Nous célébrerons les médaillé·e·s jeudi soir lors d’un gala, suivi vendredi d’un événement public organisé dans l’auditorium adjacent à Unlimited. Des membres du jury ainsi que des médaillé·e·s prendront la parole dans le cadre de discussions, rendant hommage à leur travail.

C’est le premier prix de ce type – un projet d’une année, avec un événement de clôture qui se tiendra en décembre à Miami Beach, où les médaillé·e·s d’or seront révélé·e·s. Nous voulons dynamiser le monde de l’art par cette initiative, en mettant en avant celles et ceux dont le travail reste trop souvent dans l’ombre : les institutions qui jouent un rôle essentiel, les specialistes, les directeur·rice·s d’ateliers et autres créateur·rice·s qui œuvrent sans toujours recevoir la visibilité qu’iels méritent.

SS : Bâle est un lieu formidable pour créer une communauté artistique, c’est une ville si accessible. Comment Art Basel s’étend-elle au-delà de la foire elle-même cette année ?

MC : Parcours est un secteur public gratuit conçu comme une exposition curatée qui se déploie dans le paysage urbain bâlois, transformant magasins vides, boutiques, hôtels, passages souterrains, immeubles de bureaux et autres espaces du quotidien en sites d’art contemporain. Le secteur présente des œuvres site-specific d’artistes de renommée internationale qui dialoguent avec le passé et le présent de Bâle.

Stefanie Hessler, directrice du Swiss Institute New York, organise pour la deuxième fois notre exposition Parcours. Elle comprend 21 œuvres d’art, dont de nouvelles commandes, installées entre Clarastrasse et Mittlere Brücke, s’étendant jusqu’à Münsterplatz. Le thème est Seconde Nature, explorant les frontières entre le vivant et le vraisemblable, examinant ce que nous percevons comme naturel. Plusieurs œuvres de Shahryar Nashat, Marianna Simnett et Sturtevant seront exposées dans et autour de l’ancien Hôtel Merian. Une installation de capots de voiture peints avec un paysage olfactif et sonore de Selma Selman sera présentée dans l’église Clara. Thomas Bayrle présentera une boutique fonctionnelle dans le grand magasin Manor, vendant des imperméables transparents arborant son style « super formes » caractéristique.

SS : Bâle possède également des musées de renommée internationale. Pouvez-vous partager quelques temps forts programmés en parallèle de la foire cette année ?

MC : La qualité des expositions muséales est exceptionnelle cette année. « Bass » (2024) du légendaire cinéaste et artiste oscarisé Steve McQueen sera présenté au Schaulager. L’installation immersive de 60 boîtiers LED suspendus au plafond s’accompagne d’une création sonore entièrement réalisée avec des instruments de basse et interprétée par des musicien·ne·s renommé·e·s dont Marcus Miller et Meshell Ndegeocello.

La Fondation Beyeler présentera une rétrospective de l’œuvre de Vija Celmins des années 1960 à aujourd’hui, ainsi qu’une nouvelle œuvre de réalité virtuelle de Jordan Wolfson. Le Kunstmuseum a déjà ouvert une belle exposition montrant la manière dont Medardo Rosso (1858-1928) a révolutionné la sculpture moderne et son influence sur les artistes contemporain·ne·s. Les expositions personnelles de la Kunsthalle Basel incluent Ser Serpas, qui travaille avec une troupe théâtrale de Géorgie, présentant des performances tout au long de la semaine, ainsi qu’une exposition solo de Dala Nasser. Le Museum Tinguely propose quant à lui une exposition solo de Julian Charrière.

SS : En dehors de l’art, que recommanderiez-vous pour se détendre ?

MC : Nager dans l’un des plus longs fleuves d’Europe ! Imaginez 300 galeristes et collaborateur·rice·s d’Art Basel nageant dans le Rhin – c’est ainsi que nous avons ouvert la semaine de la foire il y a deux ans, suivi d’un barbecue décontracté. Nous prévoyons de recommencer cette année, en espérant que la météo le permettra.

Crédits et légendes

Art Basel se tient à Bâle du 19 au 22 juin 2025, réservez vos billets ici.

Skye Sherwin est une rédactrice et auteure basée à Rochester, au Royaume-Uni. Elle collabore régulièrement au Guardian et à de nombreuses publications artistiques.

Légende de l'image d'en-tête : Vue de l'Hotel Merian, Bâle.

Traduction française : Art Basel.

Publié le 12 juin 2025.