« Nous venons de cultures différentes – et, à bien des égards, de mondes différents. L’une de nous, Anne, est une documentariste parisienne ; l’autre, Wolfgang, un Viennois qui rêvait d’être pianiste, devenu consultant international en entreprise. Dès le début, constituer notre collection fut une entreprise commune. Nous avons embrassé nos sensibilités respectives, permettant à la collection de refléter nos perspectives sur les artistes et les œuvres que nous choisissions. Ce qui nous a finalement mené·e·s à devenir collectionneur·euse·s s’est développé au fil du temps. »

« Nous avons commencé par acquérir des œuvres ensemble — ce que nous appelions des “œuvres du cœur” — souvent guidé·e·s par notre instinct. Avec le temps, nous avons ressenti le besoin de structurer notre démarche et avons commencé à désigner ce que nous avions rassemblé comme une "collection". Cette évolution a permis de donner une certaine cohérence à notre collection, tout en nous laissant une certaine liberté dans nos choix. Dix à quinze ans de conversations, de recherches et d’apprentissage nous ont permis de réellement devenir collectionneur·euse·s. À ce moment-là, nous possédions déjà des centaines d’œuvres – mais il nous manquait une stratégie clairement définie. Finalement, nous avons réalisé qu’en définir une était une nécessité pour franchir une étape. Nous avons commencé à nous concentrer sur trois piliers centraux : identifier les mouvements artistiques que nous souhaitions suivre, les géographies que nous voulions explorer et – par-dessus tout – les artistes que nous nous sentions obligé·e·s de représenter. Par exemple, si vous décidez de collectionner l’art aléatoire, vous ne pouvez tout simplement pas ignorer Kazuo Shiraga. Il est incontournable. »

« Pour nous, la profondeur est essentielle. Quand nous décidons d'intégrer un·e artiste à notre collection, en particulier s'iel a entre 60 et 70, nous veillons à acquérir à la fois des œuvres récentes et des pièces majeures produites au début de son parcours. Notre objectif est que la collection reflète l’arc complet du parcours créatif de l’artiste. Un exemple : quand nous avons acquis notre première œuvre de Georg Baselitz en 2009, Schlafzimmer [Chambre à coucher] (1975), nous avons également acquis Zwei Hunde aufwärts [Deux chiens fracturés, Vers le haut] de 1968. Depuis, nous avons continué à collectionner son travail presque chaque année. »

« Nous avons établi des critères clairs qui guident nos acquisitions. Avant tout, nous sommes attiré·e·s par les artistes dont le travail marque une rupture historique – une césure décisive avec ce qui précédait. Pour nous, collectionner consiste à explorer de nouveaux mouvements et langages. Il s’agit d’élargir nos horizons, de pénétrer en territoires inconnus, d’aller vers l’inconfort, vers des œuvres qui remettent en question nos manières de voir. Et, bien sûr, l’excellence est fondamentale. »

« En définitive, tout se résume à la qualité des œuvres. Nous sommes particulièrement fier·e·s de posséder The Diagonal of May 25 (1963) de Dan Flavin – l’une des toutes premières œuvres en néon qu’il ait jamais créées. De même, nous détenons l’une des premières toiles dans lesquelles Agnes Martin a commencé à travailler en série : Buds (1960), qui a été présentée dans de grandes expositions internationales et demeure une pièce clé pour comprendre son œuvre dans sa globalité. »

« Pouvoir accéder à des œuvres d’art exceptionnelles nécessite de construire de vraies relations, profondes et durables, avec les artistes et leurs galeries. Il faut des années pour gagner ce type de confiance – pour que les gens croient en votre vision et comprennent que ces œuvres auront vocation à rejoindre des collections publiques. C’est quelque chose qui nous tient profondément à cœur. »

« La grande exposition de notre collection, intitulée “Love Story” et présentée en 2014 au musée du Belvédère à Vienne a été un moment charnière. Nous avons alors commencé à réfléchir sérieusement à l’avenir de notre collection. La question centrale était de savoir s’il fallait créer un musée privé ou continuer à collaborer avec de grandes institutions publiques. Nous avons choisi cette dernière option, convaincu·e·s que cette approche offrirait une visibilité bien plus grande et toucherait un public plus large que ce qu’un musée privé ne pourrait faire. Nous développons maintenant activement des plans permettant la mise en œuvre effective de cette volonté. Ce processus a mené à la création de la Fondation Anne & Wolfgang Titze, qui préservera et portera notre vision artistique commune et notre complicité bien au-delà de notre existence. Sa mission est de continuer le travail que nous avons passionnément poursuivi au cours des 35 dernières années : façonner et partager la collection, organiser des expositions itinérantes, accorder des prêts et donations institutionnels, et soutenir également de nouvelles créations dans les domaines de l’art, de la musique et du cinéma. Une idée qui nous tient particulièrement à cœur est le développement de salles monographiques au sein des musées – par exemple, avec des groupes de dix à douze œuvres de Fred Sandback ou Sol LeWitt –, permettant aux visiteur·euse·s de s’immerger pleinement dans le travail et l’univers d’un·e artiste en particulier. »

« Aujourd’hui, notre attention se concentre de plus en plus sur la sculpture. Nous développons ce segment de la collection, avec de nombreuses œuvres qui seront bientôt installées dans deux ou trois parcs de sculptures actuellement en développement. Nous nous sommes déjà engagé·e·s dans une collaboration avec une fondation dans le Sud de la France et un musée en Autriche. L’un des parcs de sculptures sera dédié aux œuvres minimalistes majeures d’artistes tels que Carl Andre, Larry Bell, Dan Flavin, Donald Judd, Sol LeWitt, Robert Morris, Fred Sandback, Tony Smith, Bernar Venet et Lawrence Weiner. Un autre présentera des pièces de David Altmejd, Georg Baselitz, Alberto Burri, Richard Deacon, Valie Export, Antony Gormley, Hans Josephsohn, Alicja Kwade, Richard Long, Sarah Lucas, Jaume Plensa, Sterling Ruby, Thomas Schütte, Rebecca Warren ou encore Erwin Wurm. Ces parcs sont conçus comme des espaces de contemplation, de découverte et de dialogue – prolongeant notre engagement à rendre l’art accessible et à le placer dans des environnements où il peut être vécu de manière inédite et porteuse de sens. »

« Comme l’un·e de nous est cinéaste, nous nous sommes senti·e·s poussé·e·s à réaliser un film présentant notre collection de sculptures. Le résultat est Before and After / L’histoire intime d’une collection, un documentaire écrit et réalisé par Anne de Boismilon. Ce film sera présenté dans les musées ainsi que dans les festivals de cinéma documentaire. Son objectif est d’explorer les œuvres d’art et les artistes qui les sous-tendent, et ce que signifie créer et organiser une collection – un geste artistique à part entière. »

Légendes et crédits

Florence Derieux est historienne de l’art et commissaire d’exposition.

Traduction française : Art Basel.

Légende de l’image d’en-tête : Anne et Wolfgang Titze, 2025. Photographie de Stéphanie Davilma pour Art Basel. 

Publié le 21 août 2025.