La 78e édition du Festival de Cannes se tiendra du 13 au 24 mai, sous la présidence de l’actrice française Juliette Binoche. Au-delà du tapis rouge et des marches légendaires parcourus par les stars de l’industrie, Cannes reste avant tout le sanctuaire d’un certain cinéma – exigeant et anticipateur.
Qui de mieux pour naviguer dans ce temple de la cinéphilie que deux de ses plus fascinant·e·s représentant·e·s ? D’un côté, Apichatpong Weerasethakul, le rêveur thaïlandais aux images hypnotiques, Palme d’or 2010 pour Oncle Boonmee et le cinéaste qui a redéfini la grammaire du septième art. De l’autre, Tilda Swinton, créature caméléon devenue icône d’un cinéma qui refuse obstinément d’entrer dans des cases, muse de Derek Jarman hier et de Wes Anderson aujourd’hui. Ensemble, il·elle·s ont accepté l’exercice vertigineux de nous plonger dans 50 ans d’histoire cannoise pour en extraire les films qui les ont le plus marqué·e·s.
Films sélectionnés par Tilda Swinton
All That Jazz, Bob Fosse et Kagemusha, Akira Kurosawa, 1980
L’idée que ces deux films épiques soient projetés côte à côte dans un même festival est déjà fou en soi : mais au-delà de leur Palme d’or commune, j’avoue que mon souhait le plus cher serait de les voir programmés en double séance. La sincérité stupéfiante de Fosse, sa verve et son auto-examen sans concession aucune, suivis du portrait par Kurosawa d’un petit criminel propulsé de façon inattendue dans les souliers d’un seigneur de guerre dont il est le sosie… Deux réflexions sur les caprices de l’ego et l’invisibilité sociale. Deux coups de génie. Quel millésime.
La Ballade de Narayama, Shōhei Imamura, 1983
J’ai découvert La Ballade de Narayama lors du festival de Roger Ebert à Champaign, dans l’Illinois, quelques semaines seulement après sa disparition. Pour tou·te·s les spectateur·rice·s présent·e·s, il semblait d’une évidence totale que ce chef-d’œuvre sur la mortalité, l’héritage et le deuil de nos disparu·e·s avait été programmé par Ebert lui-même – un geste, à son image, généreux et sage, témoignant d’une acceptation lucide et d’un adieu serein. Pour moi, la plus éloquente des bouteilles à la mer.
Uncle Boonmee, celui qui souvient de ses vies antérieures, Apichatpong Weerasethakul, 2010
La sublime immersion qu’Apichatpong nous offre est sans égale dans le cinéma contemporain : nous habitons ses films autant qu’ils nous habitent. Jamais le spectre d’une épouse défunte ou l’apparition d’un enfant perdu sous la forme d’un singe à la table du dîner n’a semblé plus naturel et pragmatique, qui plus est orchestré avec une telle légèreté. Et tout cela en nous enveloppant du crissement de la jungle nocturne. De la magie pure.
Parasite, Bong Joon-ho, 2019
La capacité du réalisateur Bong à nous faire tanguer entre un suspense digne d’Hitchcock, un burlesque frisant l’absurde et une menace sourde terriblement réelle apparaît ici avec une précision implacable et un esprit mordant. Il nous livre une étude des paranoïas liées aux divisions de classes et de la propension des nanti·e·s à vivre hors de portée de toute connexion véritablement humaine avec leurs employé·e·s. Brutal, lyrique et hilarant tout à la fois. Un film sur une arnaque qui dérape, dont la portée traversera les âges.
Films sélectionnés par Apichatpong Weerasethakul
Le Miroir, Andreï Tarkovski, 1975
Les images de Tarkovski ressemblent à des fragments de vie qui se déplacent à travers le temps. Elles restent avec vous comme des échos de quelque chose que vous ne pouvez pas atteindre. Ou qui, simplement, décrivent un rêve.
Le Maître de marionnettes, Hou Hsiao-hsien, 1993
Un mélange de souvenirs personnels et de portes, de fenêtres et de pièces magnifiquement immobiles. Hou laisse le temps s’écouler librement et nous permet de réfléchir au temps dans une salle de cinéma. Ce film reste l’un de mes préférés.
Le Goût de la cerise, Abbas Kiarostami, 1997
L’un des gestes les plus élégants du cinéma. Les silences entre les personnes et les pensées non exprimées. Cela vous laisse avec la route et le silence.
Japón, Carlos Reygadas, 2002
Le silence en dit autant que les personnages, et on dirait que la nature se soucie peu de la souffrance des hommes. Les films de Carlos vous font toujours ressentir le poids de la vie.
La Femme sans tête, Lucrecia Martel, 2008
La façon dont le son et la texture façonnent l’histoire la rend à la fois perturbante et hypnotique. J’admire également profondément Lucrecia en tant qu’être humain.
Apichatpong Weerasethakul est représenté par Kiang Malingue (Hong Kong).
La 78e édition du Festival de Cannes aura lieu du 13 au 24 mai 2025.
Traduction française : Art Basel.
Légende de l'image d'en-tête : Festival de Cannes. © Festival de Cannes
Publié le 12 mai 2025.