Avec son dédale de galeries, ses rotondes, ses 2 800 portes, sa nef gigantesque surmontée d’une coupole de verre et d’acier dont les images somptueusement télégéniques ont circulé dans le monde entier (à l’occasion notamment des JO de Paris 2024), le Grand Palais est un édifice hors norme – et, bien sûr, la maison d’Art Basel à Paris. C’est « le plus grand monument de la capitale », rappelle Didier Fusillier. Nommé à la tête de l’établissement public en septembre 2023, le successeur de Chris Dercon ne se lasse pas, depuis la réouverture intégrale du site cet été, de voir « les visiteur·euse·s ébloui·e·s » par son unité architecturale restaurée. L’immense bâtiment et sa riche programmation ne constituent pourtant que « la partie immergée de l’iceberg », sourit le président de GrandPalaisRmn lorsqu’on l’interroge sur l’étendue de ses fonctions. L’autre versant, c’est en effet la Réunion des musées nationaux (Rmn) – une entité dont l’origine remonte à 1895, quand il s’agissait d’acquérir des œuvres d’art à destination des collections de l’État.
Mutualisant de nombreux savoir-faire dans le domaine de la muséographie, la Rmn a fusionné en 2011 avec le Grand Palais. « Ce service national gère aujourd'hui 16 châteaux et musées », explique Didier Fusillier, « dont le musée de Cluny, musée national du Moyen Âge à Paris, le Musée national de Préhistoire aux Eyzies, le musée national Marc-Chagall à Nice… entre autres. Et il faudrait citer encore des domaines fabuleux, comme celui du château de Compiègne. »
Outre une importante activité d’édition d’art, la Rmn regroupe 38 boutiques de musées dont, en particulier, celles de Versailles, du musée d’Orsay et du Louvre. Elle opère également un remarquable atelier de moulage. Ce fleuron de la Rmn réalise pour les plus grands musées français et étrangers des reproductions de sculptures à l’identique, mais aussi des commandes spéciales pour des artistes contemporain·e·s – tel·le·s Daniel Arsham, Jeff Koons, Prune Nourry… « On n’y travaille pas en 3D, mais sur des moules à l’ancienne, avec de la poudre de marbre et une résine très particulière, capable de recréer précisément les creux des statuaires », détaille Didier Fusillier. « L’atelier, à Saint-Denis, conserve également des moules originaux précieux, comme celui de la Piéta de Michel-Ange ou ceux des bas-reliefs du temple d’Angkor. C’est un lieu tout à fait sensationnel. »
Alors que la fin du chantier colossal du Grand Palais se rapproche, Didier Fusillier doit à présent veiller à l’équilibre de son budget, tout en commençant à rembourser l’emprunt de 200 millions d’euros contracté pour les travaux. Mission… complexe, pour le moins, dont la charge mentale ne semble cependant pas l’accabler. « C’est plutôt joyeux », assure le sexagénaire à l’allure sportive – grand amateur de voile, c’est aussi un cycliste chevronné. Cet « homme du Nord » – ainsi qu’il aime à se définir – a mené l’essentiel de sa carrière en dehors de Paris ; il paraît fait d’une étoffe imperméable à toute forme de stress oxydant. Sans doute savoure-t-il aussi cette présidence prestigieuse qui lui échoit en fin de carrière, comme une consécration.
Rien ne le prédestinait à prendre les commandes d’une telle institution. « Je viens du théâtre », rappelle-t-il volontiers, comme si ses débuts en tant que directeur du Manège Maubeuge, scène nationale transfrontalière, faisaient de lui un saltimbanque. Il a gardé de cette expérience le goût du spectacle vivant et cultive, partout où il passe, celui de la fête populaire, liesse rituelle « indispensable à l’équilibre d’une société », estime-t-il. Arts numériques, danse, performances, théâtre : le mélange éclectique des genres, le croisement des disciplines sont devenus sa marque de fabrique, du festival Exit de la Maison des arts de Créteil (son fief de 1993 à 2015) à la programmation de Lille 3000, qu’il a pilotée jusqu’en 2015, après avoir été l’artisan du succès de Lille capitale européenne de la Culture en 2004. Cette formule, il a continué à la mettre en œuvre à La Villette, où il a élaboré le concept du réseau Micro-Folie, dispositif high-tech ludique qui donne accès, en région et à l’étranger, aux œuvres des grands musées français.
Chorégraphie d’acrobates (pour le spectacle Vertige de Rachid Ouramdane), expositions, théâtre, danse, performances, bal, parade brésilienne, sets de DJ, mais aussi expériences culinaires et sonores proposées en ouverture par le très convivial Fun Palace : la saison inaugurale de la programmation, baptisée « Grand Palais d’été », a décliné les ingrédients du cocktail mis au point par Didier Fusillier tout au long de sa carrière – le cadre fastueux du bâtiment ajoutant à cette recette, qui mixe présentation de tapisseries royales danoises, œuvres d’art gonflables et Waacking Battle, une touche de glamour supplémentaire.
La mise en œuvre de cette ambition transdisciplinaire repose sur des coproductions, puisque « cette grande coquille vide » ne dispose d’aucune collection – une aubaine pour le Centre Pompidou en travaux, qui se déploie sur six de ses galeries. Cette occupation des lieux n’est-elle pas un peu contraignante ? Didier Fusillier balaie la question comme une incongruité : « Sans le Centre Pompidou, nous serions bien incapables de monter une exposition telle que celle consacrée à Niki de Saint Phalle, Tinguely et Pontus Hultén, ou celle qui ouvrira mi-décembre, intitulée « Trait pour trait », autour des chefs-d’œuvre du cabinet d’art graphique de Pompidou. » Un partenariat stratégique, donc, comme l’est le soutien de la maison Chanel, grand mécène de l’établissement, essentiel à la programmation de ce mastodonte, qui repose uniquement sur la billetterie et le mécénat. S’il a à cœur de renouer avec les expositions phares – une tradition dans laquelle s’inscrivait par exemple celle dédiée fin 2024 aux spectaculaires installations filaires de Chiharu Shiota –, Didier Fusillier se préoccupe aussi de capter l’attention de la génération Z grâce à une ouverture culturelle à 360° et à des formats d’abonnements spécifiques, offrant aux titulaires un accès privilégié et illimité aux expositions de la Rmn, ainsi que des réductions et d’autres avantages exclusifs.
L’année 2025 sera aussi le théâtre de la quatrième édition d’Art Basel Paris et se clôturera, en guise de bouquet final, par une double invitation aux artistes contemporaines Claire Tabouret et Eva Jospin. Didier Fusillier avoue avec bonhomie qu’il a pris conscience cet été du fait que cette exposition, qui fera dialoguer de façon inédite les œuvres de la peintre et de la sculptrice, est prévue en décembre prochain et non l’année suivante – un instant de distraction. Quel est le secret du président de GrandPalaisRmn pour nourrir sa curiosité malgré son emploi du temps très chargé ? « Je suis connecté à un réseau international, je travaille bien sûr en collectif, et je voyage beaucoup pour aller voir des expositions, des événements, même si ce sont souvent des allers-retours rapides », explique-t-il. « C’est comme ça que j’ai découvert récemment un groupe de percussionnistes formidable à Bruxelles, que j’ai vu l’installation d’un artiste qui m’intéresse à Unlimited, à Bâle, ou que j’ai repéré l’an dernier l’exposition Dolce & Gabbana au Palazzo Reale, à Milan. » L’ouverture à la mode lui apparaît comme une évidence, d’autant que le Grand Palais accueille déjà les défilés Chanel. Parmi ses autres convictions, l’accès libre au bâtiment est à présent une réalité : « Près de 7 000 mètres carrés sont ouverts gratuitement avec des espaces pour les familles, comme le Salon Seine. C’est une chose à laquelle je tenais énormément », reconnaît cet infatigable héraut de la démocratisation de l’art. Le Grand Palais est un gros navire, et les périls ne manqueront pas au cours des mois à venir, mais ce fan du Vendée Globe ne craint pas la houle et fuit le calme plat.
Anne-Cécile Sanchez est une journaliste et rédactrice indépendante basée à Paris. Elle collabore régulièrement au Journal des Arts, à L'Œil et à Projets Médias
Légende de l’image d’en-tête : Vertige, de Rachid Ouramdane. © GrandPalaisRmn 2025 - Quentin Chevrier.
Publié le 1er septembre 2025.