Dans les ruelles d’Avignon, les passant·e·s cherchent l’ombre, alors que le mercure frôle les 38°C. Derrière les murs d’un hôtel particulier, la Collection Lambert offre une proposition rafraîchissante : l’exposition « Même les soleils sont ivres » fait la part belle au vent. Jusqu’au 31 août, les visiteur·euse·s peuvent découvrir des œuvres classiques et contemporaines qui explorent le lien des habitant·e·s au mistral, si caractéristique de la région. On y découvre Flügel Klingen (2017), de l’autrichienne Susanna Fritscher, qui emplit la pièce de sons grâce à la rotation de tubes installés au plafond, ou encore l’installation Fountain (2011), du lituanien Žilvinas Kempinas, qui, composée de ventilateurs entourés de centaines de bandes magnétiques, crée l’illusion d’un vent continu.
L’exposition doit son titre à une phrase d’Albert Camus issue de La Postérité du soleil (1965), coécrit avec le poète René Char – véritable déclaration d’amour au Vaucluse, dont Avignon est le chef-lieu. Les œuvres contemporaines y dialoguent avec d’autres plus anciennes, ainsi qu’avec des textes de littérature, de Guy de Maupassant à Emily Dickinson.
À l’étage, les équipes s’affairent à finaliser l’exposition « Un chant d’amour », pour laquelle l’artiste français Jean-Michel Othoniel a sélectionné des œuvres de la Collection Lambert qui l’ont nourri et qu’il met en regard avec son propre travail. On découvre notamment un rare tableau coloré de l’américain Sol LeWitt, Wall Drawing #538 (1987), peu connu du public. Cette pièce de la Collection, montrée pour la première fois, a été encadrée pour l’occasion.
« Sol LeWitt crée cette œuvre dans les années 1980, alors qu’il s’installe en Italie avec son épouse », commente Stéphane Ibars, directeur artistique de la Collection depuis 2006. « Il redécouvre alors la peinture de la Renaissance et la couleur. Mais, à l’époque, sa démarche est mal reçue dans le monde de l’art, peu enclin à accepter qu’un·e artiste conceptuel·le s’aventure ainsi hors de son territoire. » Et d’ajouter : « C’est la richesse de la collection d’Yvon Lambert, constituée d’œuvres d’artistes extrêmement connu·e·s, saisi·e·s dans des moments de liberté totale. »
À l’origine de cette institution qui fête ses 25 ans cet été, un homme : le marchand d’art Yvon Lambert, originaire de Vence, dans le Sud de la France. En 1966, il ouvre une galerie à Paris. Il y défend des artistes américains du minimalisme et du conceptualisme, à contre-courant de la scène française, dominée à ce moment-là par l’abstraction lyrique. « Sa galerie est alors, en France, l’objet d’une attention très importante », explique François Quintin, directeur de la Collection depuis 2023.
Au fil de sa carrière, Yvon Lambert construit une collection personnelle nourrie de ses rencontres avec les artistes. En 2000, il décide de faire don de 550 de ses œuvres à l’État français. À l’époque la donation la plus importante depuis 1904, elle enrichit de manière décisive les fonds français en art contemporain américain. La ville d’Avignon met à sa disposition deux hôtels particuliers du 18e siècle, l’hôtel de Caumont, puis l’hôtel de Montfaucon. La Collection Lambert devient un musée public, aujourd’hui reconnu comme centre d’art contemporain, avec plus de 4 000 m² d’espaces d’exposition.
Son ouverture en 2000 bouleverse les habitudes culturelles d’une ville pourtant déjà bien dotée en institutions, comme le musée Calvet ou le musée du Petit Palais, et mondialement connue pour son festival de théâtre. Marie-Charlotte Calafat, responsable du département des collections et des ressources documentaires du Mucem, à Marseille, a grandi dans la région. Elle raconte : « J’ai encore le souvenir de sorties scolaires, d’une rencontre réelle avec l’art contemporain. La Collection avait quelque chose de très accessible. Je n’aurais jamais entrepris les études d’art que j’ai faites sans ces rencontres autour de la Collection. »
En 2024, Marie-Charlotte Calafat organise au Mucem l’exposition « Passions partagées », une collaboration entre les deux lieux qui mettait en dialogue art contemporain et objets issus des collections d’arts populaires du Mucem. « Ce partenariat », analyse François Quintin, « nous a permis d’avoir une communication très importante autour de l’exposition. Il y a encore des choses à organiser avec d’autres institutions, car la culture transforme les villes ».
Aujourd’hui, la Collection Lambert soutient aussi l’émergence artistique actuelle, en accueillant en résidence des curateur·rice·s européen·ne·s et en développant un réseau de centres d’art à travers le continent. « Nous sommes à un moment d’inscription de notre institution dans une pérennité forte, qui témoigne de notre engagement envers la création contemporaine, vivante. La Collection n’est pas un musée figé », insiste François Quintin.
Pour rêver son avenir, la Collection Lambert mise aussi sur ses liens avec les publics, en particulier ceux qui sont éloignés des musées. Au milieu de l’agitation autour des préparatifs de l’exposition « Un chant d’amour », une fillette, assise par terre, s’applique à dessiner à l’aquarelle l’une des œuvres de Jean-Michel Othoniel. Face aux briques en verre soufflé, Fatima mélange les tons de rose pour retranscrire la brillance du verre. Elle tend son dessin à Stéphane Ibars et lance : « Tu crois que je pourrais le donner à Jean-Michel ? »
Fatima est l’un·e des élèves de la classe de CM1-CM2 scolarisé·e·s à l’année dans les locaux du musée. En situation de décrochage, ces enfants suivent un programme classique adapté, dans un environnement artistique. « Les lundis et mardis, lorsque le musée est fermé, il·elle·s travaillent dans les salles », explique François Quintin. Et Stéphane Ibars d’observer : « Des enfants dans un musée, ça fait tomber les barrières. Ça dit à tout le monde : vous avez votre place ici. »
Le 12 juillet, la Collection ouvrira un centre d’art dans l’Ehpad public de la ville d’Avignon. Des artistes comme le plasticien Charly Aubry ou le danseur et chorégraphe Thierry Thieû Niang y sont invités en résidence pour créer avec les personnes âgées résidentes. « La Collection Lambert est un lieu pionnier par son attention à la société. Ses projets n’existent nulle part ailleurs », conclut François Quintin.
Leïla Beratto est journaliste et réalisatrice. Elle a travaillé comme correspondante en Algérie pour des médias francophones de 2012 à 2020. Elle est également cofondatrice du média en ligne 15-38 Méditerranée.
Légende de l'image d'en-tête : Sol LeWitt, Wall Drawing #538, 1987. Vue de la Collection Lambert à Avignon. Avec l’aimable autorisation de la succession de l’artiste et de la Collection Lambert.
Publié le 8 juillet 2025.