Lorsque nous rencontrons Marie Madec, elle s’affaire dans le bureau de la galerie (sans titre), fondée en 2019. « Je passe beaucoup de temps dans cet espace, car cela me permet de m’approprier les expositions », souligne-t-elle. Il n’y a pas de journée type pour elle, si ce n’est la priorité donnée à l’accueil du public et un contact quotidien avec les artistes. La jeune galeriste veille en revanche à entretenir une infatigable curiosité : « Le soir, je vais beaucoup aux vernissages des autres galeries. Je vois deux ou trois expositions par semaine, car l’art reste ma passion absolue ! » Déjà, quelque chose de l’esprit qu’insuffle la trentenaire à sa galerie transparaît : un amour immodéré de la création, de préférence décloisonnée, forcément défricheuse et toujours conviviale.

Marie Madec, Parisienne pur jus, a toujours été attirée par l’art : « Petite, ma mère m’a amenée au Louvre, puis j’y suis retournée tous les mercredi après-midi. » L’obsession d’enfance pour l’archéologie égyptienne la conduit sur les bancs de la Sorbonne, où elle poursuit un double cursus en histoire de l’art et en droit – elle se destine alors à une carrière d’enseignante-chercheuse et entreprend des recherches sur la professionnalisation de la scène artistique en Californie dans les années 1960. Finalement, les rayonnages de la bibliothèque cèderont la place aux cimaises. Elle raconte : « J’ai commencé à fréquenter de plus en plus le monde des galeries, car cela m’intéressait aussi d’être au contact de ma génération. »

En 2016, elle organise une première exposition dans son salon. « L’idée était de recréer l’appartement fantasmé d’un·e jeune collectionneur·euse », se souvient-elle. « Il y avait des œuvres, mais aussi du mobilier et des livres anciens : tout ce que pourrait posséder quelqu’un qui aime l’art contemporain ! » La proposition marquera le début d’une série d’expositions nomades, selon une économie de project space, c’est-à-dire d’espace à vocation non commerciale. « Pendant trois ans, j’ai réalisé une dizaine d’expositions dans des lieux assez atypiques : une ancienne boutique de vêtements dégriffés, un chantier naval sur le port de Marseille, un hôtel particulier en ruine dans le 7e arrondissement de Paris ou encore un ancien restaurant de la rue du Vertbois, dans le 3e », détaille-t-elle. « Nous écrivions le concept de l’exposition en fonction de chacun de ces lieux, de leur histoire et de leur architecture. » La structure assoit sa sensibilité et, peu à peu, trouve son public.

« Je me suis rendu compte qu’avec ce modèle, je n’arrivais pas vraiment à accompagner les artistes dans leur production », analyse Marie Madec. Au printemps 2019, elle saute le pas. La galerie ouvre en dur et s’installe dans un petit local de 25 m2 du 10e arrondissement parisien, dans « la cour fleurie d’un immeuble qui accueillait autrefois l’entrée des artistes du théâtre Antoine ». Le moment est fondateur. Marie Madec invite Eloi Boucher, alors jeune diplômé de l’école d’art Villa Arson, à Nice, à curater deux expositions. Il la rejoindra dans l’aventure en qualité de co-directeur. Quant aux artistes, il·elle·s se laissent inspirer par l’esprit des lieux et déploient des installations théâtrales, souvent pluridisciplinaires : Hamish Pearch ou encore Jesse Razafimandimby y réalisent leur premier solo show.

À la fin des années 2010, Paris vit un moment de transition. « Je suis arrivée à une période assez particulière », retrace Marie Madec. « L’âge d’or des project spaces parisiens était révolu. Des structures comme castillo/corrales ou Shanaynay n’existaient plus ou avaient changé de modèle. » Le constat s’applique aussi aux galeries. « Il y a eu toute une vague de lieux qui ont ouvert il y a dix-quinze ans, comme Sultana, Crèvecœur, Balice Hertling, Ciaccia Levi ou, à Belleville, Marcelle Alix et mor charpentier », note-t-elle, tout en soulignant des similarités de parcours avec exo exo : cette galerie est issue elle aussi d’un modèle de project space qui a, simultanément, intégré le circuit des foires. Elle poursuit : « Puis, une deuxième génération est arrivée il y a deux-trois ans, avec Lo Brutto Stahl, Spiaggia Libera ou DS Galerie. »

La galerie (sans titre) est aujourd’hui un acteur incontournable de la scène artistique contemporaine parisienne. Parmi les onze artistes du programme, dont Zuzanna Czebatul, Agnes Scherer ou Tanja Nis-Hansen, qui signait cet été son troisième solo show, beaucoup l’accompagnent depuis le début. Marie Madec en est fière : « Aucun·e d’entre eux·elles n’est parti·e ailleurs ! » En 2022, la galerie déménage dans son espace actuel du Marais, à quelques encablures du Centre Pompidou. Elle s’installe dans un ancien débit de boissons à la façade rouge comme le vin et aux pilastres surplombés de têtes de Bacchus, un écho fortuit aux principes de convivialité et d’accueil inscrits dans son ADN. Pour la rénovation, Marie Madec s’adjoint le concours de l’un·e de ses ami·e·s proches, l’architecte Maxime Bousquet. C’est lui qui, durant la Paris Design Week 2025 en septembre, assure le commissariat de l’exposition « Le secret des secrets », avec l’objectif d’attirer « un public sensible à l’art, mais qui ne fréquente pas forcément les galeries ».

En octobre, (sans titre) participera à Art Basel Paris. Le stand fera la part belle à l’articulation périlleuse entre force et fragilité, à travers cinq artistes : Zuzanna Czebatul, Aysha E Arar, Hamish Pearch, Sequoia Scavullo et Agnes Scherer. C’est également cette dernière que l’on retrouve exposée à la galerie durant la semaine de la foire, avec une installation que Marie Madec qualifie avec enthousiasme de « très théâtrale et holistique ! ».

Crédits et légendes

(sans titre) participera à Art Basel Paris 2025, du 24 au 26 octobre, dans le secteur Galeries. Achetez vos billets ici.

Ingrid Luquet-Gad est une critique d’art et une doctorante basée à Paris. Elle enseigne la philosophie de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Légende de l'image d'en-tête : Marie Madec devant sa galerie, (sans titre). Photographie de Matthieu Croizier pour Art Basel.

Publié le 26 septembre 2025.