Delphine Roche

Mohamed Bourouissa : la star de l'art s'installe au théâtre

Le plasticien franco-algérien est invité par le Théâtre de Gennevilliers, près de Paris, à investir ses espaces durant les trois prochaines années

En collaboration avec Numéro art

À travers son travail, Mohamed Bourouissa questionne les places respectives accordées aux groupes sociaux dominants et dominés dans les échanges marchands mondialisés et dans les représentations des mass media. Star de l'art contemporain représentée par la galerie kamel mennour et aujourd'hui exposée dans les plus grands musées du monde, le quadragénaire, qui s'illustre également dans la musique, a récemment été invité par le Théâtre de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, à proposer, pendant trois ans, des projets transversaux mêlant expositions et concerts.

Dans une époque obsédée par « l’inclusivité » – qui sert souvent à gagner de nouvelles parts de marché ou à redorer son image sous couvert de préoccupation éthique –, il est bon de se référer au travail et à la démarche de Mohamed Bourouissa pour éclairer sa lanterne quant aux enjeux réels et profonds de ce mot. Né en 1978 à Blida, en Algérie, l’artiste, qui a grandi à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, se forme à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris (EnsAD), puis au Fresnoy.

Gauche : Mohamed Bourouissa à Berlin, 2022. Photographie de Tobias Zielony pour Numéro Art, stylisme par Lorena Maza. Droite : Vue d’installation de l’exposition de Mohamed Bourouissa « Urban Riders » au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris, France, 2018. © ADAGP, Mohamed Bourouissa. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de kamel mennour, Paris, Londres.
Gauche : Mohamed Bourouissa à Berlin, 2022. Photographie de Tobias Zielony pour Numéro Art, stylisme par Lorena Maza. Droite : Vue d’installation de l’exposition de Mohamed Bourouissa « Urban Riders » au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris, France, 2018. © ADAGP, Mohamed Bourouissa. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de kamel mennour, Paris, Londres.

De 2005 à 2008, il développe une série de photographies devenue mythique : Périphérique met à l’honneur ses ami∙e∙s et connaissances dans les banlieues où iels ont l’habitude de se fréquenter. Pour inscrire ces personnes marginalisées dans le champ de vision de la société respectable et légitime, l’artiste met en scène ses modèles selon les codes compositionnels de la grande peinture d’histoire, dans des situations où perce souvent une forme de tension irrésolue. Mieux qu’un long discours, les images majestueuses prennent à rebours les représentations stigmatisantes des « gens des quartiers » diffusées à longueur de journée par les mass media. La série, couronnée à sa sortie par le prix Off des Rencontres internationales de la photographie d’Arles, a récemment fait l’objet d’une publication par la maison d’édition Loose Joints incluant de nouvelles images. Puis, après une très belle exposition au musée d’Art moderne (MAM) de Paris en 2018, l’artiste se voit proposer, en 2019, la réalisation d’une campagne Louis Vuitton par Virgil Abloh : « J’ai accepté parce que c’était Virgil. Il a apporté un nouveau souffle dans la mode en ouvrant des portes, et aujourd’hui, grâce à lui, des lignes ont bougé, peut-être pas dans la société en général, mais dans le domaine de l’image, de la direction artistique et des représentations. »

Mohamed Bourouissa, série « Périphérique », 2006-2008. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de kamel mennour, Paris, Londres. De gauche à droite, de haut en bas : 1. Carré rouge, 2005. 2. Madonne. 3. La main, 2006. 4. Le téléphone, 2006. 5. La chaise, 2007. 6. L'impasse, 2007. 7. La République, 2006.
Mohamed Bourouissa, série « Périphérique », 2006-2008. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de kamel mennour, Paris, Londres. De gauche à droite, de haut en bas : 1. Carré rouge, 2005. 2. Madonne. 3. La main, 2006. 4. Le téléphone, 2006. 5. La chaise, 2007. 6. L'impasse, 2007. 7. La République, 2006.

Outre la photographie, les médiums via lesquels s’exprime Mohamed Bourouissa incluent le dessin, la sculpture, la vidéo, les installations et, plus récemment, la musique et le sound design. Il a été nommé pour le prix Marcel-Duchamp en 2018, et ses œuvres sont présentes dans les collections des plus grands musées tels que le Los Angeles County Museum of Art (LACMA), le Stedelijk Museum (Amsterdam), le Centre Pompidou ou le MAM Paris. Qu’il s’agisse des détenus avec lesquels il réalise la vidéo rendant compte du quotidien d’une structure carcérale Temps mort en 2008 et 2009, des cavaliers afro-américains du Fletcher Street Urban Riding Club à Philadelphie qu’il a rencontrés pour son projet Horse Day, ou encore de la communauté de Gennevilliers où il réside, l’art de Mohamed Bourouissa implique de renégocier et de remettre à plat, à chaque nouveau projet, les positions respectives de l’artiste et de ses « sujets ». Se méfiant des rapports verticaux, de la confiscation de la parole et de l’autorité accordée d’emblée à tout∙e artiste s’exprimant au sein de la culture « légitime », le Franco-Algérien préfère collaborer avec des personnes au terme d’une longue période d’immersion en leur compagnie plutôt que de plaquer un discours sur elles.

Au Théâtre de Gennevilliers, il y a exposé ses photographies, mais aussi convié des musiciens et des rappeurs locaux à participer à des soirées. « C’est important pour moi de rester populaire. Mon art est conceptuel, mais il se greffe sur de nombreux contextes, et je construis des relations avec mes collaborateur∙rice∙s sur du long terme. » Rétif à toute démagogie et à toute simplification, l’artiste élabore des questionnements complexes, notamment sur le statut des plantes, dont il étudie l’activité électrique qu’il traduit en musique. Cette recherche sur le végétal participe d’une pensée sur le sort de tous les organismes vivant au sein d’un système d’échanges marchands mondialisés. « Or, pour comprendre la globalisation, qui implique l’idée de s’approprier des territoires, il faut prendre en compte la colonisation. La problématique coloniale est présente dans mon travail, mais il ne se résume pas à cela. » Mohamed Bourouissa pratique l’art de la nuance – une qualité qui rend son œuvre, aujourd’hui, absolument cruciale.

Cet article fait partie d'une collaboration annuelle avec Numéro art. Retrouvez l'article original ici.

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