Au Grand Palais, le secteur Premise « est un espace où les définitions s’abolissent. On interroge la nature même de l’œuvre, de l’exposition, du récit », explique le directeur d'Art Basel Paris Clément Delépine. Pour l'édition 2025, cette plateforme consacrée aux projets curatoriaux singuliers réunit dix galeries autour de neuf propositions.

Robert Barry (né en 1936, New York)
Présenté par Martine Aboucaya (Paris)

Peut-on ressentir une œuvre sans jamais la voir ? Figure majeure de l’art conceptuel, Robert Barry transforme l’espace d’exposition en une présence invisible. Cinq œuvres immatérielles de 1969 y sont réactivées sous la supervision de Mathieu Copeland, commissaire d’exposition et historien de l’art, pour déployer leurs forces intangibles : télépathie, magnétisme, radiation et phénomènes psychiques. Cinquante ans après leur création, ces pièces renaissent, portant en elles les récits et expériences qui les ont traversées.

Emily Kame Kngwarreye (1910-1996, Australie)
Alan Lynch (1926-1994, San Francisco)
Présenté·e·s par Château Shatto (Los Angeles)

Emily Kame Kngwarreye et Alan Lynch, bien que né·e·s dans des contextes culturels très différents, se détachent tous deux des esthétiques qualifiées d’occidentales. La première, artiste aborigène australienne, n’a commencé à peindre qu’à l’âge de 80 ans, cherchant à célébrer son territoire et sa relation intime avec la terre, ses gestes rituels se transformant en actes de méditation et de connexion profonde avec la nature. Le second, profondément marqué par le zen Sōtō, créa des œuvres sur papier où formes organiques et couleurs traduisent un univers intérieur en harmonie avec le monde naturel.

Dadamaino (1930-2004, Milan)
Présentée par Frittelli arte contemporanea (Florence)

Dadamaino, de son vrai nom Eduarda Emilia Maino, libère la peinture de ses codes. En découpant ses toiles, elle crée des vides, transformant l’espace autour de l’œuvre en un acteur à part entière. Ainsi, la lumière, les volumes et les « creux » donnent-ils vie aux « Volumi [Volumes] » (1959‑1960) de l’artiste. Inspirée par Lucio Fontana ou Piero Manzoni, Dadamaino inventa un langage où l’œuvre s’étend au-delà d'elle-même et se fond dans le monde qui l’accueille.

Hector Hyppolite (1894-1948, Haïti)
Présenté par The Gallery of Everything (Londres)

En Haïti, en 1945, André Breton découvre Hector Hyppolite. Troisième génération de prêtres vaudous, il réinvente l’art moderne haïtien en peignant divinités, ancêtres et figures historiques, intégrant les rites et les symboles. Sur carton ou sur planche, ses couleurs racontent l’histoire de son île, et célèbrent la vitalité de la culture et de la diaspora africaine. André Breton le présente d’ailleurs dans « Le Surréalisme », grande exposition organisée en 1947 avec Marcel Duchamp, qui marquait la relance du mouvement après la guerre. Il souligne également sa singularité dans l’Almanach de l’Art Brut de Dubuffet (1948).

Janet Olivia Henry (née en 1947, New York)
Présentée par Gordon Robichaux (New York) et STARS (Los Angeles)

Pour Janet Olivia Henry, collectionner des objets devient un acte de résistance dénonçant les hiérarchies, questionnant les rapports de pouvoir et créant des récits multiples. Depuis la fin des années 1970, elle développe une pratique multidisciplinaire associant photographies mises en scène, écriture, beading, quilting et sculptures souples (lariats). Elle compose des univers miniatures, petites scènes théâtrales peuplées de poupées, de chaussures et d’objets du quotidien racontant ses expériences, ses rencontres artistiques et les enjeux de la société.

Liz Deschenes (née en 1966, Boston)
Lucia Moholy (1894-1989, Prague)
Présentées par Kadel Willborn (Düsseldorf)

Entre les photographies argentiques de Lucia Moholy, pionnière du Bauhaus, et les œuvres de Liz Deschenes, figure de la photographie post-conceptuelle, se tisse un dialogue à travers les époques. La première capte la lumière, sculpte les volumes et apprivoise l’architecture. Elle transforme ses images des années 1930 en abstractions lumineuses mêlant vision personnelle et renouveau du design. La seconde prolonge cette conversation avec ses sculptures photographiques en plexiglass de la série « Blue Wool », où les reflets modulent l’espace selon l’angle de vision. Ici, la photographie devient matière vivante et en perpétuel mouvement, façonnée par le regard des spectateur·rice·s.

Lee ShinJa (née en 1930, Corée du Sud)
Présentée par Tina Kim Gallery (New York)

Lee ShinJa dessine des formes géométriques et abstraites en explorant les possibilités infinies du textile. Dans les années 1950 et 1960, alors que le fil et le tissu étaient encore associés aux tâches domestiques, elle transforma le savoir-faire traditionnel coréen en expérimentant des techniques innovantes de broderie, de teinture, de tissage et de tapisserie. Ses œuvres composent des paysages abstraits où s’entrelacent finesse, élégance et joie, qui rendent hommage à son patrimoine culturel et aux pratiques ancestrales transmises dans sa famille. Lee ShinJa manifeste un profond respect pour les forces cycliques de la nature et puise son inspiration dans ses souvenirs d’enfance.

Ella Bergmann-Michel (1896-1971, Allemagne)
Présentée par Galerie Eric Mouchet (Paris)

Ella Bergmann-Michel, formée à l’École des beaux-arts de Weimar, fut l’une des rares femmes à intégrer le Bauhaus dès 1919. Audacieuse, elle s’appropria la photographie, le cinéma et la peinture dans une démarche expérimentale. Aux côtés de son mari, Robert Michel, et dans le cadre du programme Neues Frankfurt (1925) visant à moderniser l’urbanisme et le logement social, elle documenta la vie urbaine et les inégalités sociales. Après la guerre, ses œuvres oscillèrent entre expressionnisme abstrait et Op Art, affirmant un style distinctif où dialoguent mouvement, lumière et espace.

Marie Bracquemond (1840-1916, France)
Présentée par Pavec (Paris)

Restée, de son vivant, dans l’ombre de son mari, Marie Bracquemond émerge aujourd’hui comme une véritable pionnière. Aux côtés de Berthe Morisot et de Mary Cassatt, elle incarne l’une des « grandes dames » du mouvement impressionniste. La galerie Pauline Pavec propose un ensemble de natures mortes, de portraits et de paysages réalisés entre 1874 et 1895, où dans chaque tableau se reflète le regard empathique de l’artiste. Jardins, intérieurs et visages familiers se transforment, sous son pinceau, en poésies visuelles, où l’intime devient un langage universel.

Légendes et crédits

Art Basel Paris se tiendra du 24 au 26 octobre 2025 au Grand Palais. Découvrez ici les galeries participantes du secteur Premise.

Yasmin Sarnefors est assistante Communication & Contenus chez Art Basel.

Légende de l’image principale : Lee Shinja, Spirit of Mountain, 1996. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de Tina Kim Gallery. Photographie par Sebastiano Pellion di Persano.

Publié le 15 septembre 2025.