Ingrid Luquet-Gad

L’artiste iranienne Tirdad Hashemi s’inspire d’une comptine pour apaiser la douleur

Ses petits formats oniriques présentés à la galerie gb agency à Paris capturent les émotions des exilé∙e∙s

Les petits formats au crayon et pastel gras de Tirdad Hashemi, née en 1991 à Téhéran, ont l’apesanteur des états vécus entre rêve et sommeil. Son trait est serpentin, suggérant les corps tout en laissant en réserve les masses. La couleur, elle, jaillit brute, empreinte de la violence imprévisible des catastrophes naturelles. Au beau milieu d’une paisible quiétude, le réel se rappelle soudainement et submerge tout sur son passage.

Les représentations de Tirdad Hashemi possèdent la qualité symbolique des contes. Ainsi, une scène quotidienne, tirée de son environnement familier, acquiert une résonnance universelle en basculant par quelques détails dans le fantastique. Pour « The Trapped Lullabies », sa deuxième exposition personnelle à la galerie gb agency à Paris, l’artiste est partie d’une comptine de son enfance censée rendre la mort plus douce. Celle-ci s’est rappelée à elle tandis que la révolte et la répression grondent à nouveau dans son pays natal.

Tirdad Hashemi en collaboration avec Soufia Erfanian, Still wet with the shower of their tears, 2022. Photographie d’Aurélien Mole. Avec l’aimable autorisation des artistes et de gb agency.
Tirdad Hashemi en collaboration avec Soufia Erfanian, Still wet with the shower of their tears, 2022. Photographie d’Aurélien Mole. Avec l’aimable autorisation des artistes et de gb agency.
Tirdad Hashemi en collaboration avec Soufia Erfanian, Maman, forgive me, I’m killing your daughter, 2022. Photographie d’Aurélien Mole. Avec l’aimable autorisation des artistes et de gb agency.
Tirdad Hashemi en collaboration avec Soufia Erfanian, Maman, forgive me, I’m killing your daughter, 2022. Photographie d’Aurélien Mole. Avec l’aimable autorisation des artistes et de gb agency.

Sa communauté élective, sa famille queer choisie, c’est à Berlin qu’elle l’a construite. Là, elle a également entrepris un travail à quatre mains avec sa partenaire Soufia Erfanian, exilée comme elle d’Iran. Ensemble, elles co-signent les dessins qui leur permettent d’exprimer sans mots leurs émotions. La principale série de l’exposition, « The Blue Poisoning » (2022), en est issue. La couleur bleue, récurrente, traduit dès lors le sentiment d’impuissance lié à l’éloignement. L’eau s’infiltre partout : elle reconstruit des frontières infranchissables, s’élève en vagues aussi terribles que des tsunamis, retombe en rivières de larmes pour s’apaiser un temps.

Face aux aléas de l’Histoire, même les safe-space menacent de se retourner en lieux d’enfermement. La solitude et l’intimité, la survie et la fragilité, Tirdad Hashemi les tisse ensemble comme les deux faces d’une même pièce.

Tirdad Hashemi (autoportrait). Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de gb agency.
Tirdad Hashemi (autoportrait). Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de gb agency.

Tirdad Hashemi est représentée par gb agency (Paris).

« Tirdad Hashemi: The Trapped Lullabies »
Jusqu’au 11 mars 2023
gb agency, Paris

Ingrid Luquet-Gad est une critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle est en charge de la rubrique art des Inrockuptibles, membre du comité de rédaction de Spike Art Magazine et correspondante pour Flash Art.

Légende de l'image en pleine page : Tirdad Hashemi, I assure you sir, I assure you, that she is a good civilized foreigner, sir, 2022. Photographie d’Aurélien Mole. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de gb agency.

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