« Je suis le canal de quelque chose qui me dépasse, je ne suis pas maître de ce mouvement ou de cet élan. » Se laisser habiter par les éléments et les rencontres, se faire la messagère de l’aléatoire : ainsi crée Yiqing Yin. La créatrice de mode parisienne s’apprête à présenter « D’air et de songes » à la Cité de la dentelle et de la mode à Calais, sa première exposition monographique et l’occasion pour l’artiste de revenir sur une partie de sa production correspondant aux années pendant lesquelles elle participait au calendrier des défilés.
Première créatrice d’origine chinoise à obtenir le très convoité label haute couture, en 2015, Yiqing Yin se dit reconnaissante à ce secteur pour sa bienveillance et sa curiosité : « Ma folie a rencontré les plus beaux savoir-faire ancestraux. J’ai eu énormément de chance de découvrir tous ces métiers et qu’on me fasse confiance pour venir les “perturber”. » Ayant une approche de plasticienne, un processus faisant la part belle à l’intuition et à l’« accidenté », l’artiste place la matière au cœur de son travail. Le musée qui accueille l’exposition, haut-lieu de l’art ancestral de la dentelle, n’a cependant pas été choisi par hasard. « Le lien avec la dentelle s’est fait de manière évidente : je l’ai travaillée de manière déstructurée, et j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à la détruire et à la transformer jusqu’à la rendre méconnaissable », s’amuse-t-elle.
En perte de repères à la suite des nombreux déplacements vécus pendant son enfance, le vêtement (sa seule possession en arrivant en France) constitue pour elle un refuge, une rassurance. L’habit est aussi marqueur d’absence, armure ; l’habit est habité : « La personne qui porte le vêtement le finit. En tant que créatrice, je donne une impulsion, mais tout cela reste dans un flot continu. »
Pour Yiqing Yin, l’air est une métaphore formelle, mais aussi un processus de création. Fascinée depuis toujours par l’invisible, l’insaisissable – qu’il s’agisse des nuages, de la vapeur, du vent ou de volutes d’encre dans l’eau –, elle explique avoir été inspirée par Étienne-Jules Marey, l’un des pionnier·ère·s de la photographie, qui avait notamment cherché à figer la fumée, qu’elle compare au plissé : « J’aime travailler de manière fluide et volante, avec des matières fuyantes comme l’air, qu’on peut très difficilement couper, coudre. C’est un jeu de hasard. »
Elle travaille actuellement sur une robe en collaboration avec l’artiste Solenne Jolivet, qui réalise des tableaux avec des fils. « J’ai toujours eu une approche sculpturale, et j’ai gardé cette dimension dans mes collaborations avec des artisan·e·s et des artistes. J’aime l’énergie d’hybridation. » En 2018, alors directrice artistique de la marque française Poiret, Yiqing Yin avait invité l’artiste Bernard Frize à travailler avec elle : le peintre avait alors apposé ses lignes signature sous la forme d’imprimés sur la collection printemps-été 2019.
Yiqing Yin navigue ainsi au gré des états et des collaborations, en se laissant aller à moult pérégrinations artistiques, sans limites. « C’est génial de rêver à des choses juste pour la beauté du geste, et non parce que c’est utile. Si on ne le fait pas dans l’art, où le fait-on ? »
Yiqing Yin
« D’air et de songes »
Cité de la Dentelle et de la Mode, Calais
Du 14 juin 2025 au 4 janvier 2026
Juliette Amoros est chargée de rédaction chez Art Basel.
Légende de l’image d’en-tête : Robe Minima Naturalia, exposition universelle 2020 de Dubaï, 2021.
Photographie © Laurence Laborie, 2024.