Sophie Fontanel, journaliste

« Je conseille de ne pas trop s’endimancher : plus c’est décontracté, mieux c’est. Je pourrais déchirer un pantalon de velours et chiner un immense t-shirt usé. Avec des Weston, du coup. Pendant longtemps, quand je travaillais dans la mode, on disait de certaines femmes : “Elle est habillée comme une galeriste.” Ça voulait dire qu’elle portait des vêtements trop originaux, par exemple, un gilet avec des boutons de toutes les couleurs. Je constate une nette amélioration du niveau vestimentaire, qui va avec l’extraordinaire, un mélange entre la mode et l’art, ces derniers temps. Demna, chez Gucci, crée un look « galeriste » cette saison. À la foire, je porte habituellement un immense pantalon en coton blanc et une vareuse de marin pour naviguer dans ces eaux épuisantes, avec des tennis rouge Jacquemus x Nike – parce que je n’en peux plus de voir des filles en ballerines. Ma pièce signature ? Un trench/cape de K-way, en laine froide enduite, à motif écossais foncé. Une pièce d’archives, donc de collection. Je pourrais peut-être la revendre à Gagosian. »

Cécile Fakhoury, fondatrice de la Galerie Cécile Fakhoury

« Pendant Art Basel, les journées sont intenses ; je privilégie donc des vêtements faciles à porter : le plus souvent des costumes, vestes et pantalons. Un mélange de pièces de créateur·rice·s africain·e·s, de tenues réalisées sur mesure par un couturier ivoirien qui m’habille depuis des années, et de quelques marques françaises ou américaines. Je porte généralement très peu d’accessoires : seulement quelques bijoux, comme une bague serpent au petit doigt signée Anthem, une maison de joaillerie ivoirienne.

Si le temps me le permet avant un dîner ou une soirée, je choisis des pièces plus affirmées : celles de la créatrice nigériane Lisa Folawiyo ou des Ivoirien·ne·s Loza Maléombho et Aristide Loua, et de Kente Gentlemen, maison réputée pour ses tailleurs. Pour la fête des dix ans de la galerie, lors d’Art Basel Paris 2022, Aristide m’a confectionné un magnifique costume violet irisé dans un textile tissé du Ghana.

En fin de semaine, j’opte souvent pour un jean et une chemise parfaitement coupés des marques Olooh Concept ou Asantii, respectivement basées en Côte d’Ivoire et au Rwanda, parfois associés à une veste en tissu recyclé de la créatrice malienne Awa Meité.

En 2021, j’ai créé ABY à Abidjan, une boutique qui réunit des créateur·rice·s africain·e·s de mode et de design. C’est une manière d’élargir mon engagement de galeriste en participant à la visibilité de la scène contemporaine. Mon vestiaire traduit ce même esprit : un équilibre entre mode, sobriété et volonté de valoriser la créativité qui m’entoure. »

Ibrahim Meïté Sikely, artiste représenté par la Galerie Anne Barrault

« En tant que peintre, ma garde-robe est limitée car je finis toujours par salir mes vêtements neufs. À Art Basel, je viens comme je suis. J’aime m’amuser à reconnaître les artistes par leurs petites excentricités au milieu des autres visiteur·euse·s qui brillent aussi par leur extrême simplicité. J’adore le statut d’artiste, puisque ma tenue devient secondaire : mes œuvres sont une extension de ce semblant d’effort de représentation. Je mise sur le confort, j’apprécie les vêtements qui racontent un morceau d’histoire ou un bout d’anecdote, le genre de tissu qui envoie une idée immédiate en interloquant le·la locuteur·rice. J’adore porter du Supreme, d’abord parce que c’est une marque de nerd un peu trop référencée pour les gamin·e·s cools, ensuite parce que je suis ce nerd, je crois en ce nerd et, enfin, parce que vous devez croire en ce nerd. Il y a quelque chose de réconfortant dans l’épaisseur de leurs hoodies, je m’y sens comme dans une armure de samouraï. Les typos frontales et dorsales me protègent tel des talismans sacrés qu’un archéologue spécialiste en Mésopotamie n’arriverait même pas à comprendre. Elles annoncent mon clan : celui de ceux·celles qui font les choses ! J’en ai un en collaboration avec le légendaire groupe de rap MOP, floqué d’une phrase qui m’amuse beaucoup : “Yap that fool!” [que l’on pourrait traduire par “Hurle sur cet idiot !”]. C’est fort comme première introduction, on sait à qui on a affaire. Un hoodie Supreme rouge, un pantalon Dickies, une paire de Doc Martens : voilà, on a un Ibrahim super confiant, super content. »

Thibaut Wychowanok, rédacteur en chef de Numéro Art et directeur artistique de Reiffers Art Initiatives

« Deux citations me viennent en tête. La première est de Roland Barthes, qui compare le Palace, célèbre club parisien, à “une architecture où tout le monde jouit de se voir” [Roland Barthes par Roland Barthes, 1975]. Le Grand Palais, pendant Art Basel Paris, tient de ce type d’architecture et forme un day-club où chacun·e jouit de se retrouver, de se reconnaître au sein de sa classe – journaliste, collectionneur·euse, galeriste, amateur·e éclairé·e… – et aime finalement se voir lui·elle-même reconnu·e et élu·e parmi les sien·ne·s. Comme dans un club, “en être” passe en premier lieu par des codes vestimentaires, un look, une attitude. La deuxième citation est l’expression favorite du protagoniste principal de Glamorama (1998), roman de Bret Easton Ellis. Victor Ward, mannequin et nepo baby, y répète avec philosophie : “The better you look, the more you see.” Une sentence difficile à traduire puisqu’elle veut littéralement exprimer que “mieux on regarde, mieux on voit”, mais qui peut aussi prendre un sens plus étonnant : “Plus vous êtes bien habillé·e, mieux vous voyez (le monde)”. Avoir un bon look peut-il aider les visiteur·euse·s d’Art Basel à mieux voir ? Pourquoi pas. Le regard esthétique doit bien commencer par soi-même pour pouvoir ensuite s’appliquer au reste du monde et aux œuvres d’art. À défaut, il n’est bien souvent qu’un regard esthétique copiant le goût des autres. »

Crédits et Légendes

Art Basel Paris aura lieu au Grand Palais du 24 au 26 octobre 2025. Plus d’informations ici.

Légende pour l’image d’en-tête : Illustrations de Damien Florébert Cuypers pour Art Basel.

Publié le 16 octobre 2025.