Quatrième édition, et déjà une transformation en cours : Art Basel Paris n’est plus seulement un rendez-vous du marché, mais un espace d’orientation, de circulation, de mise en tension. Dans un dialogue continu entre galeries, institutions et disciplines, Art Basel Paris redéfinit ce qu’une foire peut dire de son époque. Avec son installation complète au sein du Grand Palais restauré, Art Basel Paris dispose en 2025 d’un cadre stabilisé, propice à affiner son projet. Cette édition marque donc un double seuil : la stabilisation de la foire dans son cadre définitif, et le passage de relais de Clément Delépine, qui en signe ici sa dernière édition, avant de prendre la direction, en novembre 2025, de Lafayette Anticipations.

Un nouveau souffle sous la verrière

« En 2022, on a eu sept mois pour monter la première édition. En 2023, on préparait déjà le retour au Grand Palais. En 2024, on travaillait à l’aveugle à cause des Jeux olympiques et des retards du chantier… » Clément Delépine dresse le bilan de ces années d’adaptation. En 2025, pour la première fois, la foire investit pleinement le Grand Palais restauré, avec la totalité de ses espaces. « C’est la première édition "normale". On sort du provisoire. On peut enfin écrire quelque chose de stable. »

Cette stabilisation permet une nouvelle précision : dans la sélection des galeries, dans la construction du récit, dans la manière même de penser les flux. « Le comité de sélection a vraiment pris la mesure des deux foires qui cohabitent : celle de la nef, magistrale, et celle du premier étage, tout aussi essentielle. » Un équilibre s’installe, entre centralité spectaculaire et périphéries signifiantes. Et derrière cette articulation, une conviction réaffirmée : « L’espace commande. Il faut cesser de rêver le lieu, et au contraire, composer avec ses aspérités. Le contexte fait tout », répète Clément Delépine. Car, rappelle-t-il en citant Georges Perec, c’est de la contrainte que surgit la liberté.

Pourquoi Paris ?

Ce cadre spatial rejoint une dynamique plus large : celle d’un projet profondément parisien, et non simplement localisé à Paris. « Art Basel Paris, ce n’est pas Art Basel à Paris. C’est la mise en récit d’une vraie identité. » L’irrévérence française n’est pas un obstacle : elle devient levier. « Paris a aussi appris à Art Basel. On a injecté de la souplesse dans une mécanique bien huilée. » Dans ce contexte, Le Louvre, le Centre des monuments nationaux, le Centre Pompidou, le Palais d’Iéna, le Palais de Tokyo, les Beaux-Arts… tous ont contribué à ce récit collectif. « Paris n’a jamais été aussi désirable. Et ça crée une responsabilité partagée. »

Les secteurs Emergence et Premise

À l’intérieur du Grand Palais, l’espace ne se contente pas d’être un décor. Il façonne le récit. Deux secteurs incarnent cette conscience spatiale et critique : Emergence, suspendu au-dessus de la nef, et Premise, installé au cœur du parcours. Deux zones où la foire prend pleinement la parole, pas pour hiérarchiser, mais pour articuler.

Sur la coursive, Emergence, d’abord, assume sa position symbolique : celle d’un surplomb actif.
16 projets y prennent place, portés par des galeries qui, pour la plupart, participent pour la première fois à la foire. « C’est l’avenir ! », affirme Clément Delépine, « Les galeries aujourd’hui institutionnalisées (Zwirner, Esther Schipper, neugerriemschneider) ont toutes été un jour de jeunes galeries de Liste, la foire satellite de Bâle. » Le marché s’écrit dans la durée, par trajectoires patientes et engagements curatoriaux. Il cite en exemple la galerie (sans titre), fondée par Marie Madec, soutenue depuis ses débuts par Art Basel Paris, et aujourd’hui présente dans le secteur principal. « C’est ça que l’on veut encourager : des émergences sans compromis, qui s’installent dans le temps, sans céder à l’effet de mode. » À ses côtés, des galeries comme Petrine, Exo Exo, ROH Projects ou Sophie Tappeiner prolongent cette exigence. Certaines reviennent ; d’autres découvrent Paris pour la première fois.

Face à cette projection vers l’avant, Premise opère en retour critique. Créé en 2024, ce secteur remet en jeu la linéarité de l’histoire. Il accueille des œuvres parfois anciennes, antérieures à 1900, mais toujours dans des dispositifs contemporains. « Premise, c’est un espace où les définitions s’abolissent », explique Clément Delépine. « On interroge la nature même de l’œuvre, de l’exposition, du récit. » Ce que l’on découvre ici, ce sont des frictions temporelles : Marie Bracquemond, longtemps éclipsée, est présentée avec justesse par Pauline Pavec ; Lee ShinJa (Tina Kim Gallery) explore les possibilités infinies du textile ; les visions de Lucia Moholy résonnent avec celles de Liz Deschenes (Kadel Wilborn) ; Janet Olivia Henry (Gordon Robichaux et STARS) déploie ses dioramas politiques aux côtés d’artistes comme Emily Kam Kngwarreye (Château Shatto) ou Hector Hyppolite (The Gallery of Everything), dont certaines œuvres proviennent de la collection André Breton.

Ainsi, Emergence et Premise forment moins un diptyque qu’un système poreux : deux manières de penser l’exposition, deux manières de penser le temps. L’une travaille l’irruption, l’autre la persistance. L’une met en lumière des formes à venir, l’autre redonne voix à ce qui n’a pas eu lieu. Toutes deux affirment une chose : la foire est un espace de circulation et de déséquilibre fécond.

Une ville pour cadre, un monde pour horizon

Cette volonté de porosité déborde le Grand Palais. Le Programme Public reste l’un des piliers du projet. En 2025, pour la deuxième année consécutive, le lien avec Miu Miu, Partenaire Officiel du Programme Public, se prolonge à travers une nouvelle exposition au Palais d’Iéna. En 2024, la maison avait présenté « Tales & Tellers », une œuvre de Goshka Macuga, centrée sur les voix féminines, entre archives, fiction et manifeste. Cette année, le geste s’amplifie avec Helen Marten, lauréate du Turner Prize 2016 : dans une approche collective et transversale, la nouvelle proposition mêlera mode, art et récit, en résonance avec les codes du luxe et les dispositifs contemporains.

Dans son ensemble, le Programme Public se déploie dans plusieurs institutions et lieux emblématiques de la ville. L’axe Winston Churchill accueille des œuvres monumentales d’Arlene Shechet, Vojtěch Kovařík, Thomas Houseago. Au Petit Palais, la girafe désarticulée de Julius von Bismarck dialogue avec une statue de Bismarck, dans une mise en scène mécanique des récits nationaux.

À l’Hôtel de la Marine, Joël Andrianomearisoa investit la cour avec une installation autour de la mémoire. Place Vendôme, Kermit the Frog, Even, version gonflable monumentale d’Alex Da Corte, rend hommage à la parade américaine de Macy’s en 1991. Plus loin, sur le parvis de l’Institut de France, Ugo Rondinone prend possession de l’espace ; à la Chapelle des Beaux-Arts, Harry Nuriev active un projet participatif autour du troc et de l’objet. Au Musée national Eugène-Delacroix, Nate Lowman s’interroge sur l’héritage artistique de l’artiste éponyme. À la Cité de l’Architecture, Fabienne Verdier et les galeries Lelong et Waddington Custot s’associent pour une installation monumentale, sous le commissariat de Matthieu Poirier.

L’an dernier, l’initiative Oh La La! signait une première édition remarquée : des réaccrochages plus libres, parfois plus radicaux, pensés pour réactiver les stands après les journées VIP. En 2025, changement de ton. La direction artistique est confiée à Loïc Prigent, observateur malicieux des mœurs vestimentaires et chroniqueur des coulisses du goût. Sous le titre « à la mode », il orchestre une édition où les glissements entre art, style et désir deviennent terrain d’enquête.

« La foire n’est pas un musée, mais elle capte à l’instant les tensions du champ », explique Clément Delépine. Au Petit Palais, le programme Conversations accueille notamment Tyler Mitchell (dont l’exposition à la MEP s’ouvre en parallèle), Frida Escobedo, Kiddy Smile, Chris Dercon et une journée confiée à Edward Enninful, ancien rédacteur en chef de Vogue UK.

C’est cette porosité entre les disciplines qui fait de Paris un terrain fertile : une ville-matrice, élégante et rugueuse, où l’art contemporain peut affirmer sa radicalité sans perdre son auditoire. « Paris nous oblige à faire autrement. Elle impose l’intelligence du contexte, le goût du risque, et une certaine idée de la liberté. »

Une foire comme conversation

Clément Delépine le résume ainsi : « Les galeristes sont des passeur·euse·s. Notre responsabilité, c’est de leur offrir un lieu où les récits circulent. » La foire est un espace narratif, un lieu de friction douce, un moment de partage. Cette quatrième édition en donne la mesure la plus aboutie. « J’espère qu’en entrant au Grand Palais, on comprend ce que la foire essaie de dire. Ce n’est pas un salon. C’est une conversation. »

Légendes et crédits

Art Basel Paris 2025 se tiendra du 23 au 26 octobre. Plus d'informations sont disponibles ici.

Marc Beyney-Sonier est un journaliste basé à Paris.

Publié le 17 septembre 2025.

Légende de l'image d'en-tête : Vue d'Art Basel Paris 2024.
Légende de l'image de fin : Vue du Grand Palais pendant Art Basel Paris 2024.